la Tour Montparnasse infernale entretien avec Antoine Dellugat, France 2 Cinéma
En 2000, la filiale cinéma de France 2 a participé au financement de 32 films français parmi lesquels des films de Oliveira, Ruiz, Cavalier, Chéreau, Chahine, Rivette, mais aussi des premiers films. C’est pourtant La tour Montparnasse infernale et Le Boulet qui empochent les parts de coproduction les plus importantes (13 et 10 millions de francs). Antoine Dellugat est secrétaire général de France 2 Cinéma. Comment marche le cinéma vu depuis la télévision ? Réponses entre les lignes.
Comment la décision de coproduire un film est-elle prise à France 2 Cinéma ?
Pour schématiser, la filiale Cinéma a le pouvoir de dire non à un projet, mais pas celui de dire oui. Accepter une coproduction nécessite l’aval de la direction générale de la chaîne. Il n’y a jamais de réunions formelles pour prendre ces décisions. Des fiches circulent entre la filiale cinéma, la programmation de la chaîne et la direction de l’antenne. Cela remonte jusqu’au président, Marc Tessier, qui valide la décision. Le fonctionnement pourrait être assimilé à un comité qui ne se réunit pas. La filiale Cinéma reçoit 400 projets, soumis à des lecteurs. Un travail de débroussaillage est effectué en amont par ces lecteurs venant d’horizons variés, et qui ont une vision objective. Il y a une monteuse, des gens du théâtre, des littéraires, des journalistes... Ils rendent des fiches de lecture avec un avis orienté en fonction des objectifs de la chaîne. Mais je le répète, il s’agit d’avis objectifs sur la qualité intrinsèque des projets.
Quels sont les objectifs de France2 dont vos « lecteurs » doivent tenir compte ?
Ils savent qu’ils lisent pour une chaîne qui est à la fois de service public et de grande audience. C’est toute la complexité de notre travail, d’être à la fois une chaîne qui a vocation à diffuser de grands films populaires à 20 h 30 et en même temps à se conformer à sa mission de service public.
En 2000, La tour Montparnasse infernale et Le Boulet représentent à eux seuls quelque 15 % des investissements de France 2 Cinéma. Quelle est la politique générale de la chaîne ?
Nous sommes un service public, mais nous nous devons d’alimenter une antenne « forte » qui, il ne faut pas se voiler la face, est concurrente de TF1. Ce n’est pas une concurrence frontale dans le contenu, ni une concurrence qui joue avec les mêmes armes financières. France2 doit coproduire et diffuser un certain nombre de films dit « grand public ». Les deux films dont vous parlez sont sur le papier des comédies populaires avec des castings forts, des films ambitieux dans cette vocation de comédie. Ce sont des films chers, et pour lesquels il peut y avoir concurrence entre les filiales cinéma des chaînes, et donc surenchère sur le pré-achat.
France 2 Cinéma, comme les autres chaînes, produit des films toujours plus chers. Pourquoi ?
C’est inéluctable : ce n’est pas une volonté des chaînes mais une inflexion du marché. S’il y a plus de films chers qui se montent, nous sommes forcément sur plus de films chers. C’est quelque chose qui n’est pas démenti à l’heure où nous parlons.
Avez-vous la contrainte légale de coproduire un certain nombre de premiers films ?
Absolument pas. Notre catalogue de coproduction compte un tiers de premier ou deuxième film par an. Il s’agit juste d’une équation presque naturelle entre notre vocation à financer quelques films forts pour le 20 h 30 et celle de soutien au cinéma en tant que service public. Pour les très grosses productions comme pour les plus artistiques, les producteurs ont le sentiment que nous ne mettons jamais suffisamment d’argent. C’est une équation difficile à résoudre quand certains producteurs ne nous perçoivent que sous l’angle du service public et nous reprochent de faire du cinéma populaire. La position de TF1 est plus simple. Ils veulent du film populaire, et c’est essentiellement ce qu’ils coproduisent.
Le facteur des retombées en terme d’audience télévisuelle intervient-il dans vos choix ?
Notre analyse se fait avant tout en termes cinématographiques : on se pose d’abord la question des entrées en salles. Puis celle de la diffusion à 20h30. « Est-elle possible ou non ? » Il y a des discussions à ce sujet.
Entre pré-achat et coproduction directe, comment s’établit le partage ?
La loi impose seulement que les productions en volume soient inférieures ou égales aux achats. Cela se fait au gré des négociations avec les producteurs. Nous avons une logique patrimoniale probablement différente de celle de TF1, qui peut payer un film plus cher en pré-achat de droit pour une raison simple : la coupure publicitaire. C’est mathématique : là où TF1 peut payer 10 MF pour diffuser un film, nous ne mettrons que 8MF, parce qu’ils bénéficient d’une coupure publicitaire. Finalement, pour avoir le film, nous sommes obligés d’augmenter la part en pré-achat, car les producteurs sont d’abord intéressés par le pré-achat : c’est de l’argent qui n’a pas de contrepartie en terme de part de recettes, contrairement à la coproduction.
La part de l’investissement des chaînes dans le cinéma ne cesse d’augmenter. Est-ce une stratégie voulue ?
Il n’y a pas de stratégie, juste l’obligation d’investir un pourcentage du chiffre d’affaires de la chaîne. Ce qu’investissent les chaînes dans le cinéma est mathématique. Cette obligation d’investissement augmente cette année pour financer la distribution. Mais cela reste encore en négociation.
La filiale cinéma a-t-elle son mot à dire dans la manière dont les films sont diffusés à l’antenne ?
Diffusion et programmation sont des décisions prises par la direction de la chaîne et dans lesquelles nous n’avons aucun pouvoir. Nous ne sommes mis au courant que quinze jours avant, selon les contraintes des secrets de programmation. On apprend donc comme tout le monde les diffusions, par la presse.
En quoi votre travail est-il différent de celui d’un producteur ?
Nous ne sommes pas maître d’œuvre du projet. Ensuite notre réflexion n’est pas strictement économique. Nous risquons moins financièrement et sommes contraints de dépenser un volume qui dépend des recettes de la chaîne.
L’avenir du système de financement du cinéma français par la télévision vous semble-t-il en péril ?
Aujourd’hui, le cinéma diffusé à la télévision n’a plus la même valeur que dans les années 1980, il n’y a plus d’audiences extraordinaires. L’embellie de la fréquentation en salles finira peut-être par relancer l’audience du cinéma à la télévision. Pour l, les téléfilms, fabriqués pour beaucoup moins cher, avec une emprise des chaînes plus forte, tiennent le haut du pavé : ils font plus d’audience que beaucoup de films et confortent l’image d’une chaîne.
Les films coproduits par la filiale bénéficient-ils d’un traitement particulier à l’antenne ?
On aimerait que la réponse soit oui. Mais les journalistes ont leur libre arbitre. Il arrive que certains films coproduits par France2 soient mieux traités sur TF1. Il y a parfois de mauvaises critiques de nos films. S’il existait une politique de groupe, on préférerait que rien ne soit dit.
Comment doit-on vous présenter alors que vous quittez votre poste ?
Cela fait sept ans que je travaille au sein de la filiale Cinéma de France2, j’avais envie de passer à autre chose. J’ai commencé par la banque et j’ai toujours eu dans un coin l’envie de me rapprocher de la fabrication des films, de la production. Je pars travailler dans une maison de production, la Petite Reine. Je passe de l’autre côté.