Vacarme 28 / Cahier

Les choses de James Agee

par

Pour qui refuse de choisir entre objectivité et subjectivité, photographie et écriture, art et science, ethnographie et journalisme, reportage et philosophie, réel et fiction, description de ce qui est et désir d’autre chose, Louons maintenant les grands hommes de James Agee est un manifeste en acte. Voyage sur la crête.

« Là dans la petite poussière frileuse qui vivote sous les porches : clous rouillés, courbés, fourbus, un bouton en os, ses deux yeux déchirés à n’en plus faire qu’un ; l’envers percé d’un réveil matin, gluant sous le doigt ; un morceau déchiré de tissu avec un motif de couleur ; la carcasse aplatie, évidée, d’un fusil de chasse, le métal verdi, les lettres de l’estampille visibles encore ; l’œillet d’acier blanc d’une espadrille… »

Louons maintenant les grands hommes [1] est un livre unique, inclassable, inracontable, insupportable quelquefois. Ni littéraire ni ethnologique, ni fictif ni réaliste, ni esthète ni scientifique. Un des très rares livres jamais lus (texte + photos) qui à chaque moment soulève d’émotion sans qu’on comprenne bien pourquoi, sans qu’il soit jamais fait usage des moyens ordinaires du pathos narratif. Je veux dire qui coupe le souffle même quand il est trop long ou un peu confus. Un art poétique et politique qui inverse le rapport du sujet et de l’objet de l’écriture : pour décrire ces famous men, James Agee décide de se soumettre sans réticence à la puissance d’une réalité stupéfiante, c’est-à-dire d’abandonner les outils traditionnels de la description et du réalisme littéraires, pour dire, exactement comme ils sont, c’est-à-dire dans l’effrayante pauvreté où ils survivent dans le sud-est des États-Unis, un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants démunis au delà de tout ce qu’il est possible d’imaginer, exténués de fatigue et de faim, habitant des maisons de bois construites à la hâte, allant pieds nus et vêtus de sacs ou de hardes trouées. En s’appuyant sur la présence et le modèle des photos de Walker Evans, il invente ainsi une forme d’écriture « objective ». La beauté formelle du livre, qui tient à une sorte d’instabilitéet d’insatisfaction à travers laquelle Agee ne cesse de se corriger par ajustements successifs, est aussi celle des choses, de toutes les choses infinies et infiniment énumérées, même les cassées, les sales, les jetées, les rouillées, les reléguées, patiemment, indéfiniment nommées et posées, longuement, les unes à côté des autres. Choses pauvres de pauvres gens. Qui, comme par un échange magique, produisent de la richesse (profusion, accumulation, entassement) proprement littéraire. C’est par cet échange magique que des gens jusque-là invisibles sont devenus visibles. Agee a inversé simplement la vieille logique de Plutarque (Vie des hommes illustres) pour illustrer les moins célèbres des hommes, les moins perçus et les moins aperçus. « Louons maintenant les grands hommes, dit le verset 44 de l’Ecclésiastique, y compris ceux dont le souvenir ne s’est pas perpétué ; qui périrent comme s’ils n’avaient jamais été ; et sont devenus comme s’ils n’étaient jamais nés ; et leurs enfants après eux. » [2]

James Agee, alors âgé de 27 ans, et Walker Evans, jeune photographe de 32 ans qui entamait sa carrière [3], partirent en juin 1936 près de Tuscaloosa, en Alabama, pour faire un reportage sur les métayers du sud-est des États-Unis, l’un envoyé par Fortune Magazine, l’autre chargé, en qualité de photographe pour la Resettlement Federal Administration, de se documenter sur les conséquences de la dépression économique dans cette région des États-Unis. Ils passèrent environ deux mois avec trois familles qu’ils rencontrèrent là-bas : Agee notait sur des carnets des descriptions, des listes d’objets, des dialogues, des impressions ; Evans prenait des photographies « surtout avec un appareil 8x10 » ainsi qu’avec un Leica 35 mm. Quelques mois plus tard, Agee remit à Fortune un manuscrit beaucoup trop long que les responsables de la rédaction renoncèrent à remanier et dont ils libérèrent les droits. Il fut publié en volume par Houghton Mifflin en août 1941 et passa quasiment inaperçu : The Grapes of Wrath de John Steinbeck, publié deux ans avant et qui pouvait sembler aborder le même sujet, l’occulta presque entièrement. Il ne fut redécouvert, après la mort d’Agee (en 1955), que lors de sa réédition, en 1960. Sa traduction française est parue en 1972 dans une collection d’ethnologie [4] – ce qui contribua largement à l’ambiguïté et à la confidentialité de sa réception.

La particularité du regard qu’Agee porte sur ces fermiers, sorte de vision double souvent proche de la double vue, tient sans doute pour une part à son propre itinéraire. Bien qu’issu d’une famille de la toute petite bourgeoisie pauvre du sud – il est né en 1909 dans une petite ville du Tennessee – Agee parvient à suivre un cursus scolaire et universitaire hors du commun, d’abord dans un collège réputé du New Hampshire, puis, à partir de 1928, à Harvard, l’un des hauts lieux du prestige académique américain. Cet itinéraire de « miraculé » qui le fait participer de deux univers sociaux d’ordinaire totalement séparés et même opposés, explique en grandepartie son déchirement révolté et ses choix artistiques paradoxaux : seule cette sorte de (re)connaissance et de souffrance des origines rend possible la puissante identification par laquelle il se sent immédiatement lié à ce groupe de paysans. Walker Evans fait de lui un magnifique portrait, insistant sur son accent du sud et sur « la colère paralysante qui le poignait » [5] : « Agee travaillait eut-on dit d’une manière toute ruée et rage, écrit Evans. Dans l’Alabama il était habité par son affaire :un possédé accumulant le travail au long des jours et des nuits. Il ne devait pas dormir. Il était mû vers tout ce qu’il pouvait voir de la vie de ces familles, et commençait bien entendu dès l’aube. […] Lui-même, en fait, n’était pas tant éloigné de la vie misérable dans ces campagnes perdues. Il avait quelque chose de cela dans le sang, par une partie de sa famille fixée au Tennessee. De toute façon, il avait fui les bureaux où s’élaborent les périodiques de New York, les mondanités intellectuelles des soirées de Greenwich Village, et généralement il avait fui tout du monde culturel policé – les sentiments élevés, les bonnes manières, les colorations d’intérêt – et qu’on s’y déclarât pour l’autorité ou les vérités libertaires. En Alabama, il suait sang et eau avec une jubilation qu’il gardait pour lui […]. Probablement dût-il à sa timidité devant les problèmes [des métayers] d’être accueilli au milieu d’eux. » [6]

Du seul fait de ce « double regard » qui le caractérise et que lui permettent à la fois sa familiarité avec les catégories littéraires et artistiques acquises à Harvard et sa connaissance de l’intérieurdes vies de ces métayers sudistes, Agee adopte d’emblée une défiance instinctive à l’égard des évidences inculquées par la tradition scolaire. Et c’est pourquoi, de façon insistante, et ce dès le début de son livre, il explicite à la fois son malaise devant les impératifs du reportage (il ne cessera de s’en prendre violemment au « journalisme honnête » tout au long du livre) mais aussi son refus catégorique de faire œuvre d’imagination. Insistant sur sa « vision non artistique », sur son effort pour « suspendreou détruire l’imagination », Agee tente de faire comprendre, souvent confusément, tout ce qui sépare sa démarche d’une entreprise littéraire ordinaire : dans un geste très rare de répudiation de la tradition esthétique, il cherche à affronter le réel non pas dans les catégories du réalisme ou du naturalisme, mais en affirmant la nécessité d’une transmission de la vie même (qu’il sait vouée à l’échec). Il s’agit pour lui, et dans ses termes, de la restitution d’une « expérience » à laquelle il donne la définition suivante : « Je m’efforcerai ici de strictement ne rien écrire qui ne soit pas survenuou apparu en réalité physique ou en esprit ; et mon plus sérieux effort sera de faire en sorte que ces “matériaux” ne servent pas l’art, moins encore le journalisme, mais de les restituer tels qu’ils furent et tels que, dans ma mémoire et dans le grand cas que je fais d’eux, ils demeurent.  » [7]

Dans cette recherche inédite, il transgresse brutalement toutes les frontières de genre ou de disciplineet bouscule les hiérarchies esthétiques et scientifiques. Méconnaissant, de toute évidence, la tradition ethnologique et anthropologique (et en particulier les travaux américains), il sait et ne sait pas ce qu’il fait et, du même coup, ne fait ni de la littérature ni de l’ethnologie. Il crée lui-même les conditions expérimentales de son enquête en choisissant de suivre et de décrire la vie de trois familles : les Ricketts, les Gudger et les Woods, parmi ces « petits blancs » du sud-est américain, paysans métayers ruinés par la crise économique. Ce faisant, il adopte le même protocole quasi expérimental pour chacune d’entre elles, protocole qui forme le plan de tout l’ouvrage : s’attachant à décrire d’abord leurs (absence de) revenus et leurs différents statuts, il s’attarde ensuite longuement sur ce qu’il nomme « l’abri », c’est-à-dire la maison de chaque famille (« Le devant de la maison, sa structure et sa façade ; le corridor, la pièce au-dessous de la maison, les odeurs, le vide et les espaces »), puis la chambre à coucher du devant, celle de derrière, la cuisine, la remise, et pour chacune de ces pièces la disposition du mobilier, la cheminée, les placards, les lits, la lampe ; et pour chacun des objets de ces pièces il propose une longue évocation de leur place, du décor, des couleurs, des taches, des odeurs. Il étudie ensuite de façon très systématique les vêtements (ceux de la semaine et ceux du dimanche) et les différences visibles entre les trois familles ; la scolarité des enfants, et enfin les conditions de travail de chacun – et en particulier ce qui s’attache à la culture du coton.

C’est ainsi que la restitution des choses devient, non pas du tout un choix esthétique, mais un choix objectiviste : ce procédé de la description la plus minutieuse, ou plutôt de l’énumération la plus exhaustive lui apparaît très vite comme l’une des seules solutions pratiques pour organiser le gigantesque matériau d’observations, de notes, d’impressions, d’analyses qu’il a accumulé, et pour rendre compte le plus complètement de la réalité qu’il observe.

« Dans le coffre : une casquette de petit garçon, raide, bon marché, de couleur grise ; une robe de bébé ; une chaussure de bébé, gris-blanc, tricotée ; une paire de chaussettes mercerisée, tout ce qu’il y a de bon marché, âpre étoffe, à motifs audacieux et d’un bleu électrique, élimée au talon ; à l’extrémité de l’une un morceau de tissu vert, à carreaux, pris dans la chaussette même et faisant office de lacet ; un morceau de tissu au même effet, traversant le haut de l’autre chaussette, celui-là rose. Sur le fond de la malle dans un coin, les yeux d’un petite poupée, écarquillement bleu éclaté autour de deux points noirs, surmontant un appareil anatomique qui s’achève en plomb léger […]. Le dessus du secrétaire est recouvert d’une serviette de toilette dont le grain incorpore un relief infinitésimal et qui donne à l’œil l’impression d’être pavé de galets (celle-ci, fort vieille) ; et l’étoffe en était trop rare pour qu’on s’en serve ici suivant sa destination. Sur cette serviette de toilette reposent les objets suivants : un vieux peigne noir, sentant la champignonnière et le caoutchouc crevé, et presque entièrement édenté. Une palourde blanche avec au fond un dépôt de poussière brune, et sur elle un petit bouton blanc. Une maigre pelote à épingles imitant la soie, d’où émergent triomphants le torse et le corsage d’une poupée en porcelaine avec une coiffure au henné ; le visage est en piteux état ; l’une des mains a été arrachée. Un lapin en porcelaine de moins de dix centimètres de taille, de couleur crème et ombré de marron, avec des reflets bleuâtres dans la porcelaine, une oreille de travers ; il a le dos cassé mais les morceaux ont été rassemblés, sans colle, de façon qu’il tienne debout, à peu près en équilibre. » [8]

Non pas le « réalisme », mais la réalité même, c’est-à-dire l’impossibilité d’y atteindre. Non pas un texte qui reproduirait la réalité mais le réel dans ce qu’il a d’irreprésentable, c’est-à-dire dans l’infinité des choses énumérées, accompagnées des photos de ces mêmes choses (morceau de bois cloué à une cloison derrière laquelle sont glissés des couverts, cheminée « décorée » d’une frise de mauvais papier découpé, photos de photos de famille, etc.). La pulsion énumérative qui anime Agee trouve son principe dans la volonté (désespérée) de donner un équivalent verbal des photos d’Evans. La photo est pour lui l’instrument par excellence d’arrachement à l’illusion fictionnelle et aux facilités littéraires ou esthètes : travail parallèle à celui de l’écriture, elles sont ainsi censées fournir une « preuve objective » de l’exactitude des énumérations-descriptions de la version écrite de l’enquête. « Les photographies n’ont pas valeur d’illustration », affirme-t-il au début du livre. « Photographies et texte sont tels des égaux mutuellement indépendants et qui entièrement collaborent. » [9] Autrement dit, la photo est l’une de ces techniques nouvelles d’enregistrement du réel dont Agee se veut le promoteur. Le rapport ordinaire entre texte et photos qui est souvent de simple illustration est d’ailleurs inversé puisque, à plusieurs reprises, c’est Agee qui décrira dans tous leurs détails, des photos d’Evans, notamment des photos d’intérieur.

La description considérée comme le moins mauvais des instrument de mesure du réel ne peut évidemment s’en tenir aux choses. Agee ne porte pas seulement son attention sur le moindre détail matériel, le plus petit et le plus dérisoire des objets, mais aussi sur tout ce que la photo ne peut enregistrer : les sentiments inexprimés, les impressions fugaces, les expressions du visage, les hontes, les gênes, les pudeurs, les attitudes et les maintiens du corps – tout ce qui précisément n’intéresse ni l’écrivain réaliste ni l’ethnologue à la recherche des « faits ». Du même coup – et la tragique et incroyable beauté de ce livre vient aussi de cela – tout le travail d’Agee tient dans cet effort pour faire comprendre, dans chaque réticence, dans chaque esquisse de geste le plus infime soit-il, les raffinements des conduites de ces gens, les arrangements vestimentaires, les prouesses esthétiques, le soin apporté à tel ou tel détail, leur dignité cachée, leur fatigue, leurs tristesses, leur fierté exhibée devant l’appareil de Walker Evans, etc. Avec une conscience aiguë des moindres subtilités des comportements et des hontes sociales, Agee décrit par exemple ce qui se passe lors de la prise de l’une des photographies de Walker Evans, en employant la deuxième personne, c’est-à-dire en s’adressant à l’une des femmes (autre manière géniale de donner existence et qu’il utilise tout au long du livre) :

« […] dans l’affliction quotidienne de la saleté où vous tient le travail on faisait de vous des photographies ; et pour vous c’était comme si vous et vos enfants et votre mari et ces autres vous étiez tous là tout nus, devant la froide absorption d’un appareil photo enregistreur, dans toute votre honte pitoyable, objets de curiosité, et de dérision ; et vos yeux farouches de fureur de honte de peur, et les tendons de votre petit cou tout raidis, tout ce temps, et une main continuellement à triturer et tordre les plis pourrissants de votre jupe, comme une petite fille qui doit réciter pour des adultes, et il n’y avait pas une chose que vous puissiez faire […] : et ainsi vous vous teniez là ; dans une robe d’une pièce faite d’un tissu de literie, tombant droit du trou d’où la tête émerge, au genou, sans ceinture, et ainsi vous saviez, à travers ces yeux étrangers et habillés à la ville, que vous étiez là comme hors d’une tente trop exiguë pour couvrir votre nudité. » [10]

Dans cette entreprise d’observation participante qui s’ignore comme telle, et malgré son « innocence théorique », Agee retrouve, dans des termes et avec des outils littéraires, la problématique de l’objectivitéde la description ethnologique. Du même coup, poursuivant sa logique « expérimentale », il décide de s’inclure (avec Evans) dans le tableau. C’est ainsi qu’il mène une réflexion réflexive non seulement sur les effets induits de sa présence parmi ces paysans, mais sur ses propres cécités de citadin passé par l’école. Il décrit Walker Evans préparant ses clichés, sortant son appareil photo et son pied ; il se montre lui-même au travail, la nuit, prenant des notes, il rapporte des dialogues, s’analyse lui-même dans cette passion quasi amoureuse à l’égard de ce groupe de gens, cet état permanent d’« exultation » qui est le sien, dit-il, pendant toute cette période, analyse ses relations avec les membres de ces trois familles chez qui il vit tour à tour – s’interrogeant même sur son attirance amoureuse et sexuelle pour l’une des filles qui doit quitter la maison :

« J’aurais fait n’importe quoi au monde pour elle […] et tout ce que je pouvais faire, le grand maximum, pour cette fille qui bientôt quitterait mon existence pour une existence à elle si désespérée, le plus grand maximum que je pouvais faire était de ne pas lui montrer à quel point je tenais à elle et à ce qu’elle disait, était de ne pas essayer même, et de ne pas lui laisser entendre tout le bien que j’aurais souhaité lui faire et dont j’étais si désespérément incapable. J’éprouvais pour elle une telle tendresse et une telle gratitude que pendant qu’elle parlait je ressentais très fortement, et de façon plus soutenue qu’une simple impulsion, le besoin en réponse de prendre son corps épanoui dans mes bras et de remettre en place les cheveux humides retombés sur le front… » [11]

Les gens qu’il s’est donné pour tâche de décrire ne sont ni des objets à distance desquels il se serait tenu ni des étrangers dont il aurait à manifester l’étrangeté. Refusant toute tentation d’évocation de leur altérité sociale, physique ou culturelle, Agee s’attache au contraire à souligner leur proximité, en montrant que ces êtres apparemment si lointains sont, à quelques différences près qui tiennent au sort effroyable et injuste qui leur est fait, les mêmes que ceux qui écrivent ou prennent des photos. Cette parenté déclarée ne s’accompagne d’aucune forme de naïveté populiste ou de crédulité fervente. Agee ne cherche jamais à idéaliser ni les choses (insistant par exemple, malgré la « beauté » des maisons, sur les odeurs fétides qui les imprègnent, la vermine qui envahit les literies, la saleté des vêtements) ni les gens et la complexité de leurs relations. C’est pourquoi il leur dédie son livre « en gratitude et profonde affection », rappelant l’« étrange relation des enquêteurs avec ceux dont si tendrement et si sévèrement ils ont respectéles vies, et que, si inconsidérément, ils ont pris pour objet d’enquête et compte-rendu. »

À l’en croire, s’il l’avait pu, Agee n’aurait pas écrit de livre, il aurait simplement rassemblé des choses. « Si je le pouvais, à ce point je n’écrirais rien du tout. Il y aurait des photographies ; pour le reste, des morceaux d’étoffe, des déchets de coton, des grumelons de terre, des paroles rapportées, des bouts de bois, des pièces de fer, des fioles d’odeurs, des assiettées de nourriture et d’excrément. Les libraires regarderaient ça comme tout à fait nouveau ; les critiques murmureraient oui, mais est-ce que c’est de l’art ; et je pourrais me remettre à la majorité d’entre vous pour en faire un jeu de société, oui, c’est ce que vous en feriez. » [12]

Notes

[1James Agee et Walker Evans, Louons maintenant les grands hommes - Alabama : Trois familles de métayers en 1936, trad. par Jean Queval, Paris, Plon (« Terre Humaine »), 1972, 1993, 2002. (Let us Now Praise Famous Men, Houghton Mifflin, 1941).

[2Ibid., p. 430.

[3Cette expérience-enquête qu’il fit avec Agee en Alabama devenue, à partir des années 1960, un livre culte dans les milieux littéraires et photographiques américains, joua évidemment un rôle capital dans l’immense consécration qui fut ensuite la sienne.

[4La nouvelle édition (2002) respecte le plan originel du livre et l’ordre des photos qui sont placées en tête du volume.

[5Walker Evans, « James Agee Postface », Ibid., p. 447.

[6Ibid. p. 447-449.

[7Ibid. p. 240-241.

[8Ibid. p. 168-169

[9Ibid., p. 11.

[10Ibid., p. 355.

[11Ibid., p. 79-80.

[12Ibid., p. 30.