Faire durer avant-propos
Louée la date du 7 avril. Ce jour-là, le mouvement des chercheurs l’emporte sur toute la ligne : le gouvernement rend les armes, et accède à toutes ses revendications d’origine. Ce jour-là, du coup, la punition électorale infligée quelques jours plus tôt à la droite se commue en victoire, et la délectation vengeresse en sensation de puissance. De fait, le vent tourne pour les mouvements sociaux, qui connaissent leurs premiers succès : après les chercheurs, les recalculés, après les recalculés, les intermittents. Un état de grâce, en somme, dont le dossier qui suit voudrait faire durer le plaisir.
On y parlera donc moins de la recherche que du mouvement qui l’a sauvée. Car l’élan qui nous a porté vers Isabelle Sommier, l’une des animatrices du collectif national « Sauvons La Recherche » (SLR), l’envie qu’elle nous raconte la bataille de l’intérieur, depuis sa double position de sociologue des mobilisations et de scientifique mobilisée, la joie qu’elle accepte de le faire, et qu’elle nous livre en sus le journal qu’elle en a tenu, relèvent d’abord d’une excitation de supporter.
Reste encore à la victoire du printemps d’être prolongée, c’est-à-dire transformée. Or la temporalité du mouvement a changé : SLR doit aujourd’hui faire en sorte que son succès ne lui soit pas volé et réussir les « États généraux de la recherche » qu’il a contribué à lancer. Outre le risque d’une double reprise en main, ministérielle et syndicale, de redoutables questions l’y attendent : faut-il tenir au CNRS ? Peut-on décemment encourager les vocations pour la recherche, lorsqu’on sait qu’une part croissante des thèses est réalisée sans financement ? Le refus farouche de la contractualisation, au nom de la précarité qu’elle instituerait, ne contribue-t-il toutefois pas à exclureles chercheurs, jeunes ou moins jeunes, qui pratiquent la science au seuil ou en dehors de la fonction publique ?
Par ailleurs, cette victoire est prise dans une histoire. Celle de mouvementsantérieurs à SLR, comme le collectif « Droit d’entrée », qui dénonce depuis plusieurs années la précarisation croissante des candidats aux métiers de la recherche. Ou celle de groupes nés dans son sillage sans s’aligner exactement sur sa trajectoire, comme ces « Chercheurs précaires » qui élargissent la question d’un métier sans postes à celle d’un travail sans statut, qu’il soit réalisé dans ou hors les unités de recherches consacrées. Le mouvement des chercheurs a gagné la première manche à la faveur d’une histoire incontestablement belle : celle d’une alliance des générations – les aînés menaçant de démissionner pour les jeunes, ceux-ci leur apportant en retour le nombre et la vitalité. La suite de l’histoire est déjà plus complexe et plus conflictuelle. Mais elle va durer, et c’est là l’essentiel.