Disobedience
par Alice Notley
Ce qui est réprimé
Je rêve que je suis un détective un hommequi essaie d’attraper une femmeje suis dans un bar avec de petits miroirs réfléchissantshaut placés dans chaque coin.Elle est dans l’arrière-salle, enfermée à clef.Je fais semblant d’être saoul
pour me fondre dans la foule jusqu’à ce qu’elle sorte ?dans cette salle du moi pleined’autres et de miroirs.
Elle est l’âme.
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Toujours cherchantl’arrière-salle cet êtrey est seule quelque chose comme la forme brute y-jointe,une astuce de détective bon marché à la Chandlerun homme avec un pardessus et un revolverune pièce avec des miroirs parce queje ne peux pas renoncer à ta compagnie, à ton approbation.
J’aime les miroirs, leurs petitesindications argentées de la réflexivité totale,l’âme/être illuminé que j’ai étéde temps en temps dont je ne me souviens pas.
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En bas, au vrai bar du coin, personne ne veutêtre ici en août.Six hommes qui jouent aux carteset boivent du vin rouge. Je regarde les cheveux clairsemésteints en rouged’une femme ratatinée qui paieun verre de bordeaux blancelle n’a pas tout bu, elle souritquelqu’un qui a l’habitude de faire l’intéressanteune ancienne pute, c’est affreux de penser comme ça.
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S’hypnotiser soi-même vers un monde imaginaireun monde de cavernes. (Oui, c’est ce que je fais, je peux le faire.)Assis devant une paroi rocheuse sur laquelle il y a quelque chose d’écrit.
Que tous les E piquent quand je les touche.Cette lettre banale. elle fait surface partout
Un homme ténébreux en pardessus-revolver est venu me trouver.Pourquoi ces cavernes me plaisent-elles tant ?On dirait qu’il pose la question.Parce que les indices qui y restentsont le sujet de notre enquête. Sont ce qui est perdupour le monde censément éveillé.
Je suis, nous sommes, le résultat ou la fleur de la répression.On est en grande partie réprimépour devenir un autre ond’autres couleurs, d’autres formes de pétales, d’autres parfumstu ne peux avoir qu’un seul parfumje veux savoir ce que j’ai oubliédepuis 50 000 ans. Pense à ces déesses ridiculesces soi-disant Vénus des musées français.Ce que je sais. C’est si fatigant de vous détester, vous les hommes.
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Définir âme : je suis âme
Regarde le mur : auautrement…
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Je pourrais dire que le détectivedevient encore plus intéressant plus âgéplus spirituel saoul un véritablepersonnage pour toin’est-ce pas merveilleux il lit beaucoupun philosophe/critique amateurappartient à un groupe d’études derridien (siècle se traîne encore)
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Se perdre encore plus dans les cavernesles cavernes se dilatent, l’enfermement se dissoutje veux aller au paradis tout de suiteje sais que je ne peux pas rester j’y suis déjà alléun instantje flotte vivant, plus grand que l’histoire.
Mieux que l’histoire
Lana Turner à Versailles
le problème c’est que j’ai mis une robe(je vais à pied de Morningside Heights au bas de la villeet je me sens déprimée. J’ai mis une robe).
J’ai un nouvel enregistreur cassette, neuf et petitmais pour le modèle encore plus récent, plat et carréil faut aller dans un grand magasins’inscrire au solfège ou bien est-ce à l’oreille absolue…et je pourrai alors acheter l’enregistreur à prix réduit210 francs, si je m’inscris au cours.
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Mon amie avait un livre à bijoux (des pochettesattachées aux pages, et plein de colliers ravissants)mais je m’avais moi-même, la bague indienneen turquoise et argent que je portais à l’âge de quatre ansétait à mon doigt – n’était plus réprimée –ça ne fait rien à présent si j’ai mis une robe.
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Qui es-tu, réel, que je ne nommerai pasqui troubles ma caverne avec tes lamentations
tu es jaloux de ma clarté, de ma joie, de mon caractère autoritaire
une jolie broderie jetée sur cette putain de pluie parisiennece gris de l’Œuvre du Seigneur.
Tu n’es que l’un des Maçons de la Poésie.
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Dans mon exactitude ici-bas maintenantje suis tachée de peinture sombre et j’ai les cheveux ondulésces ondes régulières qu’une de mes tantes faisait avec des pinces métalliques
on n’échappe pas au style, cubes ou ondes.« Dame Ténébreuse » dit Hardmitch si ennuyeuxentouré de monde, le reste de la conversation…« Vous êtes les Maçons ? » « Nous sommes d’autres Maçons de la poésie
et nous vous suivonspour vous obliger à bien vous tenir. »
Femme ténébreuse parle, c’est moi,automate presque autonome :« … pas trop à nourrir. pas même maintenantne te conduis pas bien, nourris-les. »
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LANA TURNER À VERSAILLES
en tant qu’entrée de Paris« Continuons-nous vers la Gloire ? » dit-elle,et répond « Oui »je suis plus brune qu’elle mais je porte cette robe
et je me suis levéeet je me suis retournée…La gloire ce n’est que de l’E comme évanescent
Oh Mitch-ham soyons é-motifsmoi aussi banale qu’un E, évoquepersonnalité d’origine sous nouvelle tapisserie
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Mon moi de jour me suit encorecomme mes camarades d’automne…
Lana Turner, ne parle pas tout de suite.« Mais je ne suis pas à la hauteur de Dante, » dit-elle,
« morte en tant que non-entité,à ce point ? »Le bras de Mitch-ham autour de ma taille…
Une personne est exacte parce qu’elle est empaquetéeun paquetde caractéristiqueslumière, végétation, les rochersde l’espoir, les montagnes de la permanence inconsciente.
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Cette semaine est si affolantetout le monde veut un morceau de la mienne
dites « Enouma elish » à chaque alerte à la bombe.Nous sommes au regret de vous informer mesdames et messieursque le service de métro est interrompu
en raison d’un colis suspect à Palais-Royal.
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Une obscurité immense et traînée par une tête humaineen coiffe égyptienne recouvrira la terrequand je serai morte ?
Il y a quelque chose d’humain ou de semblable à l’espritpartout dans les étoilesces E – peut pas les lire mais on peut les dire.
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Dire la mort c’est savoir, c’est épouser ta mortOui, je le veuxMais on n’y est pas obligé
Juste sous la peau de la jambe gauche
une femme brune, Camelia Lunaqui a le nez d’Anna Akhmatovame reçoit dans son appartement en sous-sol –je vais l’aider à porter son père mortje me l’attache au cou…« Il doit être lourd, » dit-elle. Ilse réveille et marmonne quelque chose, pas très mémorable.
Nous appelions Camelia Cammy (prononcer« Commy ») quand j’étais gosse
Virginia mon ancienne psy me traitait de « dingue »« poète dingue » – « Tu étais une espèce de poète dingue. »
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Lourd de la saison. Pas envie de me donnerà un nouveau cycle de travail et de vie sociale.Dire quelque chose de joli : « Dorior, plus doré qu’une porte. »
Tout le monde se lasse de porter un père.Dans mon rêve le père de Cammyavait été un caïd de la Mafia. Elle ouvrit la porteen robe de tulle bleu.
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« Ce poème a besoin de votre amour. »Ça, un Américain pourrait le dire
c’est dégoûtantAimer un Américain : « Ils nous a-dorent. »Prends une cité, écoutes-y du rap ;vire à droite élis une tête de masque avec un beau costard ;fais exploser quelques bombes atomiques.Les Américains viennent à Paris pour découvrir qu’ils sont Américains
comme c’est intéressant pour eux ; je veux dire pour nous
marre de porter ça, de porter ce poidsautour de mon cou, mais putain qui est ce type ?Représenté comme le fardeau de ta vie, en serait-il tout le poids la cruauté ? Oui je le porte, le porte…
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Dehors, en forêt avec un pot de cornichons videattendant d’attraper un cornichon, non une chouette, chevêchette, ouquelque chose dans le genre !si loin au-dessousde ma surface, je ne peux trouver qu’une diatribe,ne devrais-tu pas écouter ? Loin… loin au-dessous –où doit se trouver la véritable histoire.
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Marguerite Yourcenar disaitqu’elle ne voulait pas figurer dans un livre de femmesrecueil d’écritures de femmes carseules les femmes le liraient, etelles savaient déjà qu’elles étaient en colère –Etla colère, disait-elle, c’est une seule, une seule personneun petit éclat personnel.Mais c’est ce genre de colère-là, Marguerite –et que faites-vousd’une colère comme celle de Dante, tout un ciel de plombune colère orthodoxe à charge ecclésiastique,créant, comme on dit en amerloque, une norme de ce qui est[Grand ?
Pas si mal, de damner pour l’éternitéquand on est Grand ?Eh bien, dit-elle,ce n’est certainement pas rien.
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Je n’arrive pas à descendre dans les caverneset les plaisirs radieux de la poursuite de l’Âmepar la Volonté. Que va-t-il se passer, me trouverai-je un jourde sorte que je changerai, hors de la page ?
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Je sais où Dante pourrait se trouver –attaché à mon cou, au cou de Camelia Luna.« Qu’est-ce qu’il a dit quand il a parlé ? »Et alors ?Il faudrait qu’il meure, ce poids autour de mon cou.
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« Salut, Mitch. » « Salut.T’as pris quelque chose dans ce bocal ? »« Le cul d’un mort déguisé en lumière. »
« Tu n’es pas un peu dur avec D ? Il est comme moi »« Et moi – »
D’abord à gauche, puis à droite –
Non à gauche, à gauche jusqu’au boutVa aussi loin que tu peux.
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Marchant les orteils recroquevillés comme si j’avais un orgasme ;à présent regarde le ciel étrange au-dessus des arbres tendres.
Je ne veux pas créer de signification ;Je veux la tuer…Tu as fait la signification ; moij’essaie d’arrêter la vie,assez longtemps pour pouvoir exister.Moi, vraiment, je parle.
Traduit de l’américain par Anne Talvaz