chroniques érotiques

un menu pour séduire

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Il a accepté votre invitation, et votre cœur bat à l’idée que ce dîner doit conquérir le sien, sous peine de vous retrouver dès minuit comme une pauvre idiote, seule devant votre évier plein de vaisselle sale.

Vous devez donc le subjuguer entre l’apéritif et le dessert si vous voulez le garder après le digestif. Prévoyan-te, vous n’avez négligé aucun dé-tail : vous avez sor-ti votre plus belle nappe, soigneusement repassée, vous avez changé les draps, un vase attend négligemment les fleurs qu’il va peut-être vous apporter, des capotes sont à portée de main un peu partout, près du sofa, cachées derrière une pile de CD, mais aussi dans un tiroir de la cuisine. On ne sait jamais quand ni où ce dîner va prendre son véritable cours — de l’amour des casseroles à l’amour entre les casseroles, il n’y a qu’un pas que vous souhaitez sauter ce soir. Alors, que faire à manger ?

Par hypothèse, vous êtes jeune et beau, et lui aussi, évidemment. Vous êtes peut-être une folle assez casserole dans le fond, mais ça ne doit pas trop se voir. Au contraire, votre dîner, tout en étant parfaitement calculé et maîtrisé comme celui d’une vieille cuisinière, doit absolument donner l’apparence de la légèreté, de la rapidité et de l’aisance d’exécution, bref, montrer que vous faites ce dîner en toute simplicité, en un tournemain, presque une improvisation ! Ne donnez pas l’impression que vous êtes une mijoteuse qui a passé toute sa journée à vieillir devant sa cocotte-minute.

Le menu que je vous propose imposera donc au repas un rythme assez enlevé à compter de l’arrivée de l’objet de vos désirs, car la pièce maîtresse de votre œuvre sera un soufflé, qui exige un timing plutôt rigoureux. Il est nettement préférable pour ce menu de pouvoir dîner à la cuisine, si elle est assez grande, ou de disposer d’une cuisine américaine.

A l’arrivée de votre futur amant, tout doit être prêt pour un riche apéritif qui va jouer en même temps le rôle d’entrée. Banissez donc les chips et autres biscuits salés aussi rébarbatifs qu’indigestes, au profit de diverses petites choses tour à tour fines, fraîches, piquantes, goûteuses, surprenantes. Par exemple, et en vrac, quelques légumes frais, joliment coupés et présentés, accompagnés, pourquoi pas, d’un petit bol de sauce anchoïade (réduire des anchois en pommade au pilon et monter à l’huile d’olive), quelques morceaux de hareng (Bismarck, c’est-à-dire au vinaigre, et non à l’huile) piqués sur des cornichons doux (dits à la Russe), quelques toasts tartinés de foie de morue (vous les trouvez en conserve, à l’huile, et c’est excellent). Vous pouvez imaginer encore bien d’autres choses, laissez-vous aller, et dites vous que vous avez à ce stade le droit d’être un peu kitsch, pourvu que vous obteniez des saveurs excitantes et non un simple effet de déco pétasse. Mais revenons au timing : le soufflé aussi doit être prêt à enfourner lorsque votre futur amant arrive. Vous aurez dû pour cela maîtriser les opérations décrites dans la recette ci-dessous.

Une fois qu’il est arrivé, vous le mettez à l’aise. Mais juste avant de lui servir son apéritif, n’oubliez pas, dans votre trouble, de mettre le soufflé au four. A partir de ce moment, vous avez avant de le servir une demi-heure à trois-quart d’heure devant vous pour prendre avec lui (l’amant, pas le soufflé) cet apéritif-entrée. Quelques coups d’œil au four vous permettront de voir à quel moment le soufflé est superbement gonflé, débordant son plat, et bien doré. Peut-être l’amant vous accompagnera-t-il jusqu’au four pour l’admirer avec vous à travers la vitre, presque joue contre joue, voire en passant négligemment son bras autour de vos épaules, ou inversement si vous vous sentez entreprenant. N’entreprenez quand même pas trop, car le soufflé aurait vite fait de sécher et de brûler. Pour vérifier sa bonne cuisson, vous pouvez rapidement piquer au cœur du soufflé avec un couteau pointu. S’il est cuit, la lame ressort « sèche ». Il est temps de le servir, et c’est un moment d’intense émotion qu’il ne faut pas rater. Il doit être vu dans les secondes mêmes où vous le défournez, et c’est un petit spectacle toujours très impressionnant que d’assister ensemble à son affaissement en l’espace d’une quinzaine de secondes. Reprenez vos esprits et servez-le accompagné d’une salade, par exemple une mâche avec une vinaigrette au vinaigre balsamique (à base d’huile normale, mais relevée d’un peu d’huile d’olive), que vous pouvez également agrémenter de quelques cerneaux de noix (auquel cas vous relèverez la vinaigrette avec de l’huile de noix, mais attention, avec grande parcimonie, car l’huile de noix est très puissante en saveur). Un vin rouge léger, éventuellement rafraîchi, accompagnera le tout. Prévoyez ensuite deux ou trois bons fromages, par exemple du Chaource, du Gorgonzola, un morceau de Saint-Nectaire fermier. Pour le dessert, poursuivez dans la légèreté et la simplicité : salade de fruits oranges-bananes, ou fruits rouges accompagnés de crème fouettée, ou une glace.


Préparation du soufflé

[comptez 40 mn]
25g. de beurre, 40g. de farine, 1/4 de litre de lait, 4 œufs, 100 à 150 g. d’un gruyère goûteux (par exemple, Comté ou Beaufort), noix de muscade, sel et poivre.

Faites fondre le beurre dans une casserole à feu doux (surtout ne pas le cuire et encore moins le noircir !), incorporez la farine et cuisez quelques secondes sans cesser de bien malaxer le mélange. Retirez du feu et ajoutez le lait en remuant vivement. Remettez à feu doux et touillez sans arrêt pendant environ 10 mn jusqu’à ce que la préparation soit devenue bien épaisse. Salez, poivrez très modérément et ajoutez un peu de noix de muscade (n’en mettez pas trop ! Elle est là pour relever le goût du soufflé, et non pas pour lui donner le goût de la muscade). Laissez tiédir le mélange afin d’incorporer ensuite sans les coaguler les 4 jaunes d’œufs, puis le fromage râpé. Peu de temps avant l’arrivée de votre futur amant, battez les blancs en neige, la plus ferme possible, et incorporez-les très délicatement à la préparation (c’est-à-dire sans les écraser, les battre, mais par un lent mouvement de cuillère en soulevant la pâte du fond vers le dessus, jusqu’à obtenir une masse mousseuse homogène). Versez la préparation dans un moule à soufflé — de préférence de type ramequin en verre, d’un diamètre d’environ 18 cm — préalablement beurré. Le four aura été préchauffé à 200-220 degrés. Le soufflé est prêt à enfourner, et il serait bon dès lors que votre amant ne se fasse pas trop attendre.

Cuisson : env. 40 mn.