« comme un danseur classique, et qui change de vie. »

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Selon l’assertion répandue, transsexuel rime avec prostitution. Camille Cabral en témoigne : « Les gens pensent que tous les transsexuels se prostituent. C’est quasiment automatique. » Elle ajoute : « C’est presque vrai. »

Presque, parce que « la majorité se prostitue, en effet », parce qu’« il y a tellement de résistances qu’il est difficile pour un transsexuel de faire autrement, surtout lorsqu’il est d’origine étrangère. » Entre le lieu commun et la réalité décrite par les membres du PASTT — « tout pousse les transsexuels à se prostituer » —, ce presque décrit le contexte dans lequel le PASTT se situe pour aider les transsexuelLEs prostituées à obtenir un emploi.

Pour l’association, il y a au moins deux objectifs : d’une part, la démonstration doit être faite que les transsexuelLEs sont « capables de faire des choses et pas seulement de porter des mini jupes et de se prostituer » - c’est le défi à relever vis-à-vis des institutions et du grand public ; d’autre part, à l’échelle individuelle, beaucoup de transsexuelLEs aspirent tout simplement à une « vie ordinaire » et à un « métier ordinaire », et le PASTT souhaite mettre en place un dispositif afin de les y aider.

Paradoxalement, mener une « vie ordinaire » signifie dans la plupart des cas pour les transsexuelLEs accepter une schizophrénie quotidienne : vivre une double vie, « porter des vestes et des cravates », comme dit Kuka, cacher son identité. « Certaines restent garçon la journée parce que, comme ça, la vie est plus facile pour elles. » La visibilité provoque le plus souvent l’exclusion du monde du travail : renoncer à l’emploi que l’on avait, ne plus trouver de boulot, parce que le nom ou la photo sur les papiers d’identité ne correspondent pas à l’apparence, parce que la transformation du corps est amorcée. Dans ce contexte, le recours à la prostitution devient une sorte d’évidence. Parmi les transsexuelLEs prostituées algériennes, qui se sont réfugiéEs en France pour fuir les menaces de mort, beaucoup ne se prostituaient pas dans leur pays. ArrivéEs à Paris, leur choix était limité.

Le problème pour le PASTT n’est évidemment pas la prostitution en soi, mais plutôt l’impossibilité presque systématique pour les transsexuelLEs d’accéder à autre chose.

Certaines refusent de se plier à cette logique : « Ma chambre de bonne, vivre comme un petit rat, non ! », dit Kuka. Pour la liberté, pour pouvoir « faire son corps », c’est-à-dire poursuivre son traitement hormonal et mener à bien la transformation de son corps, elle a préféré quitter l’Argentine et venir s’installer en France. Mais, si elle dit trouver en France plus de tolérance, elle reconnaît qu’en dehors de la prostitution, ici aussi, « a n’est pas évident de se « débrouiller » : « Trouver un travail lorsque que tu es transsexuelle et que cela se voit « a n’est pas facile. » Bien sûr « il y a beaucoup de gar« ons qui aiment les transsexuelles, alors tu peux trouver un copain et vivre avec lui. » Certaines femmes transsexuelles aimeraient pourtant pouvoir travailler comme tout le monde et vivre de façon autonome.

D’autres en commen« ant à se prostituer souhaitent rassembler suffisamment d’argent pour mener à bien un projet par la suite « comme quelqu’un qui fait du sport, un danseur classique, et qui change de vie. » Dans la réalité, la reconversion est difficile et très peu de personnes y parviennent. Les facteurs d’exclusion s’additionnent : la transsexualité tout d’abord, la prostitution, les difficultés vis-à-vis de la langue fran« aise, l’absence de papiers...

Beaucoup de transsexuelLEs prostituées se tournent vers le PASTT et sollicitent une aide à l’insertion professionnelle. Leur objectif n’est pas comme on l’imagine caricaturalement de « sortir de la prostitution ». Il s’agit avant tout pour elles ou eux de gagner un peu d’argent en ayant une activité socialement valorisée. Pouvoir répondre simplement lorsqu’on leur demande : « Tu travailles où ? » Être en mesure de dire : « J’ai un travail comme tout le monde. » Obtenir la sécurité sociale. Ne pas être tenu(e) à la marge qu’on leur réserve. Se prouver aussi à soi-même que l’on peut mener une « activité ordinaire », « être intégré ». Le salaire est finalement un enjeu moindre, notamment parce qu’il est généralement faible et ne suffit pas pour vivre.

Mais le PASTT et ses membres se heurtent aux résistances d’un système qui refuse parfois de prendre en compte les spécificités de cette population et ne facilite pas la collaboration avec l’association. Manque une certaine souplesse. Les rendez-vous avec le centre d’intérim à 8h45 le matin alors que de nombreuses personnes travaillent une bonne partie de la nuit sur les boulevards ou au bois de Boulogne. L’obligation chaque jour de se rendre au centre pour consulter ses annonces, la plupart du temps pour rien. Les réticences lorsque l’employeur potentiel réalise qui il a en face de lui : lorsque Kim se présente à une poste de secrétaire médicale dans un hôpital, on ne lui dit pas qu’elle ne peut pas avoir la place parce qu’elle est transsexuelle, on lui répond que le travail est réservé pour un emploi jeune. Un cas de figure sans doute classique, mais malheureusement assez systématique.

Les contrats obtenus sont généralement de très courte durée : quelques semaines au terme desquelles il faut trouver une nouvelle proposition.

Camille Cabral le concède : « Pour une personne sans aucun diplôme, qui parle plus ou moins bien le français, il est difficile d’être exigeant, mais tout de même, ça n’est pas idéal. » Même lorsque l’association passe par les services d’une agence d’intérim, le tri se fait et les emplois proposés sont presque exclusivement des heures de ménage, souvent à peine quelques heures par semaines.

Alors le PASTT cherche des solutions. Des solutions très ponctuelles de dépannage : lorsque Léa employée par l’association s’est fait opérer, elle a pris un congé, Kim a alors été engagée pendant trois mois, ce qui lui a donné un peu de répit. Mais le PASTT tente également de nouer des alliances à plus long terme, notamment avec des réseaux déjà constitués. L’association s’est adressée au SNEG (Syndicat National des Entreprises Gay) : « Les entreprises gays sont plus libérales. » Il y a de la demande, mais il n’y a pas d’offre, et jusqu’à présent la collaboration ne semble pas plus facile ici qu’ailleurs.

Il y a quelques mois, la DASS s’est engagée à développer avec les transsexuelLEs un dispositif d’aide à la réinsertion qui devrait devenir opérationnel cette année. C’est ce que le PASTT espère.