un menu pour rester fidèle

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En bonne fille qui a enterré sa vie de garçon depuis deux mois, vous optez pour un apaisement culinaire préventif des débordements adultères auxquels la présence de cet hôte tentateur pourrait vous conduire pendant la nuit qu’il va passer chez vous. Le menu que je vous propose émousse efficacement les élans les plus fougueux.

Au cours de vos nombreux voyages, vous avez connu un nombre encore plus grand d’amants. Avec certains qui ont particulièrement ravi votre coeur et votre corps, vous êtes resté en complice relation : que leurs voyages ou les vôtres vous rapprochent à nouveau, vous ne manquez jamais l’occasion de vous revoir, et après des mois ou des années d’éloignement géographique, vous retrouvez instantanément ces gestes intimes, partagés par nul autre que vous deux, et qui vous jettent chaque fois immanquablement dans les bras l’un de l’autre, le temps de la visite. L’un de ces vieux amants vous téléphone aujourd’hui pour vous annoncer qu’il arrive demain. Et qu’il passera naturellement la nuit chez vous. Rien qu’en entendant sa voix, vous ne doutez pas un instant que le charme opérera comme à l’accoutumée. Mais voilà : il y a désormais un homme dans votre vie — celui-là même que vous séduisâtes il y a deux mois grâce au soufflé au fromage de VACARME, et qui ne vous a plus quitté depuis. La situation est délicate.

Bien sûr, d’ordinaire, vous ne faisiez pas grand cas des questions de fidélité -vous seriez plutôt du genre à en avoir de multiples, dont celle qui vous unit très épisodiquement, mais d’autant plus intensément, à votre lointain visiteur. Pourtant, cette fois-ci, vous sentez bien que ce n’est pas le moment de remettre le couvert. Ce brouet d’amour ne serait pas du tout du goût de l’élu de votre coeur. Vous savez qu’avec lui, il vaut mieux mettre du gel sur la capote que de l’huile sur le feu. Aussi, en bonne fille qui a enterré sa vie de garçon depuis deux mois, vous optez pour un apaisement culinaire préventif des débordements adultères auxquels la présence de cet hôte tentateur pourrait vous conduire pendant la nuit qu’il va passer chez vous.

Pour plus de sûreté, invitez quelques amis de confiance — et éventuellement votre jaloux d’époux, s’il veut bien se rendre compte de visu des efforts que vous faites pour rester vertueux — et prétendez devant votre trop séduisant visiteur que ce dîner était prévu de longue date. Vous vous justifierez ainsi habilement de ne pas passer la soirée en intime tête à tête avec lui et - car vous redoutez le moment où les autres invités seront partis - d’avoir servi un repas si plantureux qu’il émoussera efficacement même les plus fougueux élans.

Le menu que je vous propose a donc de multiples avantages : sa préparation, à débuter dès la veille, suite au coup de fil tentateur, vous aura épuisé par de longues heures en cuisine. Sa dégustation vous tiendra à table jusqu’à une heure avancée et favorisera la consommation de force boisson. Sa digestion, enfin, requerra assez d’énergie pour que votre invité préfère tomber illico dans les bras de Morphée plutôt que dans les vôtres. Vous aurez recours, de bout en bout, à de délicieuses mais solides spécialités du terroir : en entrée, des tourtons de pommes de terre (spécialité de la vallée du Champsaur), accompagnés d’une frisée à l’ail, puis un baekeofe alsacien (spectaculaire potée aux trois viandes et au Sylvaner). Un beau plateau de fromage, qui ne manquera pas de comprendre du Munster, vous conduira enfin vers un dessert tout en beurre et sucre : un Kouign Aman breton (prononcez : Queen-A-Man). Vous vous serez tous régalés, et votre vertu sera sauve. Ou sinon votre cas est vraiment désespéré.

Tourtons de pommes de terre :

(pour env. 25 tourtons)

Pâte : bien mélanger 300 g. de farine avec 3 oeufs, 50 g. de beurre ramolli, 2 cuillerées d’huile, du sel et un peu d’eau en fonction de la consistance du mélange. Étaler au rouleau jusqu’à obtenir une pâte d’un bon millimètre d’épaisseur environ. À la roulette, découper des carrés de 6-7 cm de coté.

Garniture : préparer une purée épaisse avec 200 g. de pommes de terre cuites à l’eau et un peu de lait et de crème. Pour la parfumer, faire revenir dans une ou deux cuillères à soupe d’huile un demi blanc de poireau très finement émincé. Ajouter le poireau revenu et l’huile à la purée, saler, poivrer. Il est aussi possible d’ajouter de la tomme fraîche à la purée, ce qui lui donnera une petite note fromagère acidulée très agréable.

Garnir un carré sur deux d’un petit tas de purée, recouvrir avec l’autre carré et bien souder la pâte sur les bords. Tout ceci aura pu se faire assez à l’avance : en attendant de les frire, couvrir les tourtons pour qu’ils ne sèchent pas. Plus tard, les faire frire à la poêle, des deux côtés, jusqu’à ce que la pâte soit bien dorée et un peu croustillante. Égoutter sur du papier absorbant et tenir au chaud au four (pas trop chaud, il ne faut pas les faire recuire) jusqu’au moment de servir (mais pas plus d’une demi-heure, sinon il vaut mieux les laisser refroidir après friture et les réchauffer, toujours au four, juste avant de servir).

Servir accompagné d’une frisée, avec une vinaigrette à l’huile d’olive et bien aillée.

Kouign Aman :

(pour 3-4 personnes)

Ingrédients : 200 g. de farine, levure de boulanger, 150 g. de beurre demi-sel, 150 g. de sucre, une pincée de sel, environ un demi-verre d’eau, un jaune d’oeuf.

Dans une jatte, mélanger puis pétrir la farine, la levure de boulanger (se conformer au mode d’emploi pour la proportion, la manière de l’incorporer — délayage ou pas — et le temps de levée), la pincée de sel et l’eau. En faire une boule et la mettre à lever le temps nécessaire dans un endroit tiède, couverte d’un linge. Une fois levée, l’étaler au rouleau en une galette plus épaisse au centre que sur les bords. Étaler le beurre ramolli et le sucre au centre, rabattre les bords pour obtenir ainsi une sorte de chausson carré ou rectangulaire. Étaler ce chausson en rectangle allongé, sans le crever, le replier en trois, et recommencer l’opération deux ou trois fois, selon que la pâte, de plus en plus fine, risque ou non de se crever. La dernière fois, étalez à la forme et à la dimension de votre moule. Une fois dans le moule (dont les bords doivent être assez hauts pour ne pas laisser échapper de beurre fondu), badigeonner au jaune d’oeuf et faire quelques dessins en piquant la surface avec les dents d’une fourchette. Laisser reposer env. 20 mn puis cuire à four très chaud pendant env. 30 mn. A la sortie du four, attendre quelques instants que la pâte réabsorbe le beurre fondu dans lequel elle baigne. Démouler ensuite sans tarder. Servir tiède (au besoin, réchauffer à four doux).

Baekeofe :

Ingrédients (pour 3-4 personnes, augmenter à proportion si vous êtes plus nombreux) : 300 g. de collet ou d’épaule d’agneau, 300 g. d’échine de porc, 300 g. de poitrine ou de palette de bœuf (chacune de ces viandes doit être débitée en autant de morceaux que de convives), 1 pied de porc, 1 gros oignon, 1 blanc de poireau, 1 ou 2 carottes, env. 1 kg de pommes de terre, une feuille de laurier, 50 g. de saindoux ou de graisse d’oie, env. 100 g. de farine pour jointoyer la cocotte. Prévoir en outre pour la marinade : 1 oignon, 1 carotte, 1 échalote, 1/2 branche de céleri, 1 gousse d’ail, 3 branches de thym, 1 bouteille de Sylvaner.

La veille : mettre les morceaux de viande à mariner dans le vin et les ingrédients de la marinade indiqués ci-dessus (éplucher et couper les légumes en tranches ou en tronçons), sans oublier de saler et poivrer.

Le jour même : éplucher les légumes, les couper en tranches (d’un demi cm maximum pour les pommes de terre, plus fines pour les autres légumes). Égoutter les viandes. Graisser une grande cocotte (en terre ou en verre, le verre ayant l’avantage rassurant de voir l’avancée de la cuisson). La garnir d’une couche composée des légumes et d’une partie des pommes de terre, sans oublier la feuille de laurier, puis disposer les viandes, recouvrir enfin avec les pommes de terre restantes. Saler et poivrer légèrement chaque couche. Mouiller avec la marinade préalablement passée. Faire une pâte de consistance bien collante avec la farine et de l’eau. La disposer en un épais bourrelet sur le pourtour de la cocotte afin de sceller hermétiquement le couvercle. Cuire au four à 200° pendant au moins 2 heures 30 (peut évidemment se garder au chaud assez longtemps en réduisant la température). Ne desceller le couvercle qu’au moment de servir (sur la table, ça fera plus d’effet. Mais attention, le joint de pâte, devenu très dur et partiellement carbonisé, risque de faire beaucoup de débris sur la nappe : mieux vaut étaler largement un torchon autour du plat avant d’en briser le joint). Penser à servir de chacune des viandes à chaque convive. Se déguste accompagné, évidemment, d’un bon Sylvaner.