Vacarme 81 / Vacarme 81

C’est en s’engageant à l’échelle de là où nous sommes, ici ou ailleurs, que l’action peut retrouver un objet et la possibilité de produire un effet, retrouver sa légitimité politique et produire des victoires. « Victoire » ou « gagner », un vocabulaire trop entaché pour ne pas sonner étrange. Et pourtant, il s’agit bien de retrouver le chemin des joies politiques associées à l’expérience de la puissance collective, celle de se projeter dans l’avenir, de déboucher l’horizon à petits coups de sculpteur sur bois plutôt qu’à grands coups de marteau.

Dans un pays, la Grèce, qui a dû faire face à l’imposition de la rigueur, des gens ont mis sur pied de toutes petites structures de survie tant pour eux-mêmes que pour pouvoir accueillir plus démunis qu’eux. Dans le dénuement, nus comme des vers, les solidarités grecques ont créé … quoi ? Des solutions concrètes qui répondent à des situations d’urgence. S’il n’y a pas de raison de se réjouir tant cela s’est fait sous la contrainte, il y a matière à interroger la teneur politique de ces engagements qui se dessinent autour d’un groupe ancré dans un quartier ou dans un territoire limité, dont les mobilisations peuvent engager à chercher localement, nationalement ou à l’échelle de l’Europe, des réponses nécessaires. D’autant que, dès lors qu’on s’y intéresse, les exemples fleurissent d’initiatives parties d’individus ou de petits groupes qui essaiment et ont produit ces quinze dernières années des réseaux d’échange, de transmission, de réflexion appuyant la prolifération d’énergies et d’expériences.

Une énergie joyeuse habite ceux qui décrivent ce qu’ils ont contribué à changer récemment tout près d’eux. Parce qu’ils ont l’impression d’être au cœur des choses, que leur engagement se traduit par des résultats concrets, ils nous obligent.

Autour de nous aussi, ici, un espace politique ou plutôt un emboîtement d’espaces multiples politiques à géométrie variable se dessine. Pêle-mêle, dans les « zones à défendre » (zad), à Calais, le val de Suze ou la vallée de la Roya, mais aussi les milliers d’initiatives de transition, d’économie solidaire, et de politique des communs, dans les quartiers avec les luttes contre les violences policières, les campagnes revendiquant à Grenoble ou à Aubervilliers des droits pour des collectifs migrants ou des habitants démunis, dans les villages où des modalités radicales de participation viennent modifier le rapport au pouvoir. Chaque fois, les parti-pris, les ambitions, les échelles de rayonnement et d’implication divergent, mais toujours semble-t-il s’impose ce constat : c’est en s’engageant à l’échelle de là où nous sommes, ici ou ailleurs, que l’action peut retrouver un objet et la possibilité de produire un effet, retrouver sa légitimité politique et produire des victoires. « Victoire » ou « gagner », un vocabulaire trop entaché pour ne pas sonner étrange. Et pourtant, il s’agit bien de retrouver le chemin des joies politiques associées à l’expérience de la puissance collective, celle de se projeter dans l’avenir, de déboucher l’horizon à petits coups de sculpteur sur bois plutôt qu’à grands coups de marteau.

L’engagement populaire à l’échelle de l’ici viendrait au minimum répondre à une aporie déjà identifiée par Machiavel : le peuple n’existe pas comme une entité, moins encore comme une entité sachante ; il est avant tout l’expression chaotique de prises de position traversées d’émotions et de préjugés. Comment justifier un régime, la république, qui tient compte par principe dans la gestion de la cité de tels préjugés et émotions ? Comment être républicain ? En permettant au peuple de voir de près la mécanique du pouvoir pour qu’il ne se laisse plus tromper par les idées générales. Mais dans les schémas les plus ambitieux, ceux qui inspirent sans doute certains en Grèce, en Espagne, la participation du peuple — on entend participation ici au sens fort de puissance de changer et de gagner la mise en œuvre et le contrôle des politiques publiques — est garante de l’émergence du « protagonisme » (un mot né de l’analyse de la Révolution française par Haim Burstin) et du développement populaire individuel et collectif. Se référer au protagonisme, c’est s’intéresser à la contribution des individus dans la dynamique des événements. S’il est question bien sûr de l’individu ordinaire, il s’agit aussi de s’interroger sur les conditions extraordinaires qui voient émerger des formes spécifiques de politisation, à savoir des crises politiques et révolutions. Entre un citoyen qui verrait de près et un protagoniste, il y aurait donc une variété de systèmes de valeur et d’engagements possibles, de contextes politiques aussi, que nous voulons, sinon décrire de façon exhaustive, au moins évoquer dans leur diversité et questionner.

Quelles sont nos capacités d’action, politique et citoyenne, hors de l’exercice du pouvoir institutionnel à l’échelon national ? Comment penser ces capacités ? Les faire grandir, les articuler, en étant conscient des contraintes et des opportunités qui constituent notre présent. Comment assumer une sociabilité conflictuelle, rebelle, productrice d’alternatives à la hauteur de nos aspirations ?

Une énergie joyeuse habite ceux qui décrivent ce qu’ils ont contribué à changer récemment tout près d’eux. Parce qu’ils ont l’impression d’être au cœur des choses, que leur engagement se traduit par des résultats concrets, ils nous obligent. Mais comment faire l’économie d’un regard critique nécessaire, traversé par la conscience douloureuse des enjeux politiques et sociaux à venir. Il s’agit en tous cas de définir comment se battre encore pour l’univers des possibles.

le localisme est-il de gauche ?

Le localisme a longtemps été associé à une pensée de l’enracinement, à un mythe des origines, une pensée identitaire où le local se réfère à l’immuable, au vrai, où l’ancrage au sol et à la terre (qui ne mentent pas) se substituerait à tout rapport au temps, et donc politiquement aux conservatismes les plus rigides. Le localisme serait-il forcément de droite ou même d’extrême-droite ? Victor Hugo décrit dans Quatre-Vingt-Treize des paysans vendéens et bretons, des chouans réfractaires aux « lumières » de la Révolution française, cernés par les haies du bocage comme par autant d’impossibilité à penser au-delà. Le XIXe siècle pourrait voir s’opposer une pensée localiste (celle d’un Barrès ou d’un Maurras) à un libéralisme porté vers l’horizon et l’attrait du lointain (celui du commerce, du libre-échange et de la colonisation), et un internationalisme qui se joue de toutes les frontières (« Prolétaires de tous les pays… »). Et à l’heure où l’alter-mondialisme semble à bout de souffle, les mouvements locaux paraissent aujourd’hui parfois dépassés sur leur droite par des discours où l’identité et la culture locale jouent un rôle ambigu, complexe à démêler, gênant pour une pensée ancrée à gauche. Un couscous gate caricatural nous rappelle à quel point la droite extrême est attachée à son terroir, et prompte à fustiger l’attitude du « déraciné-mondialiste » Florian Philippot pour avoir eu l’audace de commander un couscous dans un restaurant de Strasbourg. Mais le local, plus qu’une idéologie en soi, apparaît comme une échelle et comme un levier, dont la gauche sait aussi se saisir, non pour essentialiser telle ou telle identité, mais pour se réapproprier une lutte de proximité, et construire des alternatives.

Le local n’existe pas en soi, et lui attribuer des propriétés vertueuses manque les emboîtements d’échelle toujours à l’œuvre et masque les dynamiques inégalitaires qui s’y nouent.

Au demeurant, que la question politique se définisse à l’échelle locale n’est pas une nouveauté : l’histoire des révoltes paysannes, du mouvement ouvrier, du syndicalisme, des luttes urbaines, est faite de mobilisations circonscrites et à l’ancrage limité. Communes, pays, régions, sont tramés de mémoires de combats dont l’horizon ne débordait pas l’espace vécu des engagés. Le Parti communiste français n’a cessé au XXe siècle de thématiser un imaginaire du bastion, allant jusqu’à cultiver un municipalisme dont les réalisations se lisent encore dans le paysage. Et le « capital d’autochtonie » (Jean-Noël Retière) des populations dominées a été et reste parfois la seule ressource pour des générations exposées à la déstructuration du tissu économique : face à l’impossibilité d’accéder au marché du travail, il ne reste parfois que les réseaux de relations localisées, la bande de copains par exemple, pour offrir une assise à l’existence. À ce titre, congédier le local, ce peut être parfois rayer d’un trait ce qui reste aux catégories populaires : la seule voie disponible pour s’en sortir. Une partie du drame de la désindustrialisation tient ainsi aussi dans la dévalorisation de cette ressource.

nov’ langue et chevaux de Troie

Reste qu’une chose est assurée : il convient de se prémunir de toute fétichisation du local. Les raisons sont connues et nombreuses. La première vient de la géographie : le local n’existe pas en soi, et lui attribuer par principe des propriétés vertueuses manque les emboîtements d’échelle toujours à l’œuvre et masque les dynamiques inégalitaires qui s’y nouent. Le local est avant tout le proche, qui met en contact avec ses voisins. Il cache mal les conflits, les questions de domination, de lutte des classes ou de racialisation. C’en est même traditionnellement un lieu privilégié. Il n’est pas intéressant en soi, mais en tant qu’il permet de faire émerger d’autres questions.

On le sait trop bien par ailleurs, tant en appeler à l’agir local est devenu le mot de passe de gouvernants avides de dérégulation en tous genres : l’invocation à s’en remettre aux acteurs de terrain et à leur expertise est la meilleure manière de se défausser sur ceux qui portent les choses au quotidien, et se retrouvent à gérer comme ils le peuvent, une situation de pénurie par exemple. Il n’est pas de meilleure manière d’alimenter les concurrences et conflits internes entre acteurs locaux, et de reporter sur ces derniers la responsabilité des dysfonctionnements. C’est là le second reproche classique et légitime fait aux discours politiques qui prônent l’autonomisation : on y identifie le cheval de Troie du néolibéralisme, qui recycle sans gêne des termes venus de l’autogestion des années 1970, aux prises notamment en France avec l’État bonapartiste. L’ironie tragique étant que ce dernier se porte toujours aussi bien, après avoir tranquillement travaillé à la déstructuration des équilibres. Bref, le nouvel esprit du capitalisme a fait du local un de ses motifs privilégiés.

Mieux encore : le gouvernant de gauche actuel adore la « radicalité concrète » de ses concitoyens. Prolixe en dispositifs de concertation, tendu par l’effort de rejoindre la base qu’il a perdue, il exalte l’innovation démocratique et ses engagements citoyens « au cœur de l’action locale », sans pour autant cesser véritablement de voir en lui l’assisté ou le consommateur de services — et pourquoi pas le fainéant. Tandis que dans le même temps, bien souvent, les mobilisations locales répondent à des insuffisances voire des démissions des pouvoirs publics, la question peut clairement être posée de leur instrumentalisation. Ainsi la distribution de nourriture aux exilés, non seulement laissée aux initiatives citoyennes, mais parfois empêchée par l’action de la police ou des municipalités. Ou plus largement la multiplication des initiatives citoyennes, proportionnelle au démantèlement de standards de services nationaux, au profit d’un système où chaque « communauté » bénéficiera du service qu’elle aura réussi à mettre en place : crèches parentales, cliniques sociales, ou accès à des soutiens juridiques pour différentes populations précarisées…

jardiner, construire, raconter 
entre les ruines

Le mouvement de solidarité sociale né en Grèce en 2011, à la suite du mouvement des places, était pris dans une double urgence. S’opposer aux décisions prises par les institutions politiques et financières européennes, et trouver des solutions de justice alimentaire, de santé publique, de partage des ressources. Au-delà de la dimension humanitaire, de façon spontanée et consciente, les initiatives se sont immédiatement pensées comme les ébauches d’une construction politique. Il y allait de stratégies de survie, mêlant contestations politiques et sociales, se dressant à la fois contre les politiques d’austérité, pour la réorganisation de sa vie propre, et pour des engagements locaux qu’il faut dès lors comprendre comme changement individuel des rapports au politique : autonomisation, participation, et potentiellement désir de participer à l’élaboration des politiques publiques à une autre échelle. Si la situation grecque est éclairante, c’est qu’elle illustre une situation d’urgence, une forme de radicalité liée à la nécessité : pour les Grecs, parler de construire sur les ruines du capitalisme n’a pas tout-à-fait la même connotation tragique et romantique que pour les Français ou les Britanniques. La métaphore dit ce qui a été vécu un temps au moins par beaucoup comme une situation de précarité insupportable et de plus en plus désespérée. Elle a pu être employée pour produire des récits qui dépassent l’impossible obstacle de la destruction irrémédiable de notre monde par l’action de l’homme. Elle souligne l’attention nécessaire à la vie qui se loge entre les ruines, celle qui s’obstine, celle qui s’accommode et tire avantage. Elle s’intéresse au détail de ce qu’il est possible d’espérer ou de construire au delà du capitalisme, ou en tenant compte de ce qu’il continue à détruire. Dans ce localisme alternatif, il y a sans doute aussi bien sûr l’acceptation d’un échec, celui des utopies caressées dans les années 1970, qu’on les appelle croissance zéro ou société des loisirs, celui d’une part des luttes pour la défense des services publics de santé, de l’éducation, et pour la réduction des inégalités sociales à l’échelle nationale. Mais aussi l’échec d’un développement partagé à l’échelle globale, et bien sûr le manque d’ambition des États dans la lutte contre les effets économiques et sociaux du dérèglement climatique. L’incapacité à faire entendre ces histoires, la nécessité d’expérimenter d’autres voies, traversent la plupart de ces surgissements politiques, qu’ils prônent une forme d’autonomie ou de participation, de co-construction, de conflit, de contre-pouvoir, des moyens violents ou privilégient la capacité de nuisance ou la force de proposition. Ces actions pourraient définir un positionnement radical attaché à s’affranchir d’une violence, de la tyrannie même, du néolibéralisme et des systèmes qui nous façonnent, de leur puissance à délégitimer les puissances politiques des communs, pour reprendre l’une des formulations du dossier qui suit. Tout à l’inverse, les réalités des luttes indigènes et des destructions à Bornéo par exemple invitent à modérer tant une vision universaliste qu’une compréhension globalisante. Il s’agit donc aussi de construire des récits attentifs aux spécificités locales, pour réapprendre un autre rapport politique au changement, des récits ancrés dans les luttes fragmentées, collectives et locales.

boîte à outils

Les réactions, expériences, constructions politiques, échos à ces situations de crise, sont foisonnantes et innombrables. Nous en présentons ici quelques-unes — surgies au gré de nos contacts, rencontres ou expériences proches. On peut voir dans ces quelques éléments d’enquête, analyses ou récits un coup de sonde ou un embryon de boîte à outils. Mais à enrichir et réajuster sans cesse. Car ce que montrent bien les récits, épopées locales, aventures collectives, ou les théorisations, par delà un désir commun de renouer avec l’engagement, de faire évoluer le rapport aux institutions, de repolitiser la communauté, de créer du lien et de l’interaction, c’est que chaque objet, urgence ou question à traiter oblige à penser la situation locale et la spécificité de son local à soi. Quelle imbrication des échelles ? Comment articuler verticalité et horizontalité ? Faut-il choisir ses combats pour les gagner ? Quelle dose de faire ensemble et/ou d’« arpentages de textes » requiert l’éducation populaire ? Combien de subversif, et jusqu’où le performatif ?

Il faut prendre en revanche au sérieux une conception de la politique où la décision politique est elle-même conçue comme une propriété commune.

Dans la profusion des exemples et des enseignements on insistera cependant sur deux points, qui nous paraissent incontournables. Pas de local tout d’abord qui, pour rester vivant, ne doive rester connecté. Le local est un sas, un pas vers une autre échelle. Sans connexion il est enfermement — beaucoup en ont fait l’épreuve, à leur corps défendant. Et son horizon se situe sans doute du côté du développement d’une pratique et d’une culture des communs que la démultiplication des initiatives citoyennes ne peut que venir vivifier et nourrir — espace théorique et politique en construction qui leur offre cohérence et perspectives.

un local connecté

Le local qui nous intéresse est connecté : par la technologie, le maillage des réseaux d’associations, les circulations d’individus, d’idées, de propositions. Les initiatives locales de solidarité, pour aider une personne à traverser une frontière, apporter de la nourriture dans un campement urbain, bloquer une rafle policière, ne changent pas et peut-être ne changeront jamais les politiques de l’État, des préfectures ou des villes. Mais face à l’intolérable de ces politiques, être au fait d’actions locales de soutien ou d’opposition, parce qu’elles représentent une alternative au silence et à l’inaction, renforce chacun d’entre nous. Quand bien même la « zone-à-défendre » organise son autonomie, Notre-Dame-des-Landes est au cœur du paysage. Lorsque des actions de résistance y sont menées, elles alimentent un débat national sur la façon dont sont prises les décisions concernant l’occupation du territoire et la gestion de l’environnement. Et l’Assemblée européenne des communs permet aux expérimentations menées à un bout de l’Europe de nourrir l’imagination des militants et leurs revendications politiques à l’autre bout. Connectés, les exilés le sont d’ailleurs eux aussi en permanence : on les voit partout dans la ville rechargeant leurs appareils, aux abribus ou dans les espaces publics numériques, en lien avec leur propre réseau familial ou communautaire, ou avec celui qui s’est constitué sur la route. Que serait un local sans réseau, sinon un local subi, vécu comme enfermement et repli sur soi — ce local sans issue dans lesquels souffrent ceux qu’on isole, les prisonniers, les pauvres, les ghettoïsés, privés d’accès à une vie sociale partagée, égal à égal, où le droit à participer et contribuer est le même pour tous ?

Plus largement, ou dans nos rêves les plus fous, connexions et mises en réseau ouvrent des horizons politiques. Depuis des années au Royaume-Uni, plus récemment en France, un tiers secteur émerge, entre public et privé, qui fait l’objet, avec le durcissement des politiques de rigueur et l’augmentation du chômage, d’un antagonisme social réel. Les structures de solidarités ancrées dans la communauté, les mouvements coopératifs, les « transitionneurs » ou les « commoners », pourraient — et c’est un idéal — travailler à faire émerger une alternative, une économie intégrée de la production à la reproduction, en marge des logiques de marché. Elle aurait pour condition d’existence l’élaboration de synergies et de réseaux transnationaux. D’où l’intérêt porté tant par les militants que les universitaires au développement d’environnements numériques gratuits, accessibles à tous, faciles d’utilisation, congruents aux objectifs de ces communautés. Bref à l’horizon, mais aussi dans les réalités des pratiques d’aujourd’hui, il s’agit bien de soutenir un local connecté.

les communs comme pratique

La notion de « communs » renvoie autant à une éthique qu’à une pratique. Leur conception classique décrit la gestion collective de ressources selon des principes politiques et de gouvernance établis et mis en œuvre par la communauté concernée. Mais l’apport des communs repose autant sur les produits de cette pratique que sur ce qu’elle enseigne aux individus qui l’exercent : un agir en commun, une pratique du commoning. On peut se réjouir de voir se multiplier les initiatives locales et grossir les rangs des commoners, mais changer le monde à partir des communs ne se fera sans doute pas à moyen terme, par simple capillarité. Et on imagine mal quel miracle à court terme — quels vieux outils de la démocratie représentative, une liste aux élections, quelques élu·e·s ? — pourrait les faire entrer en politique. Prendre en revanche au sérieux une conception de la politique où la décision politique est elle-même conçue comme une propriété commune (common property resources), et dont la gestion doit se faire à l’aide de moyens ré-élaborés collectivement, constitue une vraie perspective. La politique ne se borne pas au travail de quelques-uns. L’échelon local fourmille aujourd’hui de pratiques du commoning. Informés des expériences des mouvements et des villes espagnoles, encouragés par la multiplication des initiatives, avertis également du risque de voir le local se refermer sur lui-même, devenir un entre-soi, voire le théâtre de colonisations réinscrivant inégalités et discriminations de classe, de race ou de genre, gardant enfin en tête l’exigence de valeurs d’inclusion, d’ouverture, de circulation, d’égalité, il nous faut penser et re-travailler sans cesse les formes de collaboration et de prise de décision. Repenser les façons de faire de la politique au quotidien pour agir collectivement. Se donner les moyens de remettre sans cesse le métier sur l’ouvrage.