Déclaration de Tarek (MIB), le jeudi 6 juin 2002, sur le lieu de la mort de Mohammed Berrichi :

« À l’heure actuelle, on ne sait pas comment ça s’est passé. On n’a pas de témoignage. La vérité. On va dire la vérité : on n’a pas de témoignage qui dit « Voilà, ils l’ont touché ». Mais il y a tellement d’ancienneté, d’anecdotes qui se passent, ils ont une telle habitude de violence, ils ont une telle habitude d’un comportement discriminatoire qu’on ne croit pas dans ce qu’ils disent, qu’on ne croit pas dans leur version. Donc on essaye avec les moyens du bord de faire émerger quelque chose avec des témoignages, etc. Pour qu’il y ait une responsabilité. Mais on ne va pas se mentir, ça va être très difficile. Ça va être très, très difficile. Parce qu’en face, c’est la police. En face, il y a des gens, ils sont organisés, avec des syndicats. Ils ne sont pas très nombreux, en réalité. Ils sont 100 000 en France, ils ne sont pas tous d’accord. Ils sont organisés mais ils ont des moyens de pression.

Dammarie-lès-Lys, grande banlieue parisienne, mai dernier. En l’espace de deux jours, deux personnes décèdent suite à l’intervention de la police. Le 21 mai, Xavier Dem, 23 ans, est tué d’une balle dans la tête par le policier sur lequel il a tiré avec la carabine à plombs de son grand-père. Le 23 mai, Mohammed Berrichi, 28 ans, fait une chute mortelle, à scooter, au cours d’une course-poursuite avec la Brigade Anti Criminalité (BAC).

Le spectre du soulèvement hante à nouveau les lieux : en 1993, une autre chute mortelle, imputée à la police, avait entraîné trois jours d’émeute dans la ville voisine de Melun ; et en 1997, la mort d’un autre jeune homme, tué d’une balle dans la nuque par un policier (page 36), avait déclenché la même mécanique dans la cité de la Plaine-du-Lys, à Dammarie même.

Pourtant, cette fois, nulle émeute. La colère est immédiate, certes, mais elle reste contenue, malgré ou grâce au souvenir des événements de 1997, qu’il soit perpétué par une procédure judiciaire jamais achevée ou par les fresques peintes aux murs de la cité. Les émeutiers d’hier, aujourd’hui sûrs d’un savoir forgé à la racine de leur histoire et de leurs cités (portraits page 23), à même ces vérités qu’ils savent toujours incertaines, ont refusé la violence.

D’où le « chantier » qui suit.

Chantier, dans le sens où quelque chose se fabrique, à Dammarie-lès-Lys, qui nécessite qu’on le rapporte : à la fois une pratique du pouvoir et une manière de lui résister, qui se cristallisent autour de la procédure dite d’outrage à agent dépositaire de la force publique (page 34).

Chantier, également, dans le sens où, une fois écartées les grilles d’interprétation habituelles (violence éternelle de l’État, rage émeutière des pauvres), reste une situation confuse, dont les clefs ne se livrent qu’à condition d’en restituer à la fois le détail chronologique (page 36), les moments d’affrontements (page 28) et la dynamique propre : quelque chose comme l’opposition entre deux régimes de vérité, celui du pouvoir et celui de l’expérience (page 31).

Chantier, enfin, puisqu’il est impossible de clore. L’objet commande la démarche : Dammarie-lès-Lys, ou quand une force naît de l’incertitude.

Post-scriptum

Les images qui illustrent ce chantier dans la version « papier » de ce numéro de Vacarme sont de Marc Pataut et Maxence Rifflet.

Voir également notre chantier « Sécurité » dans Vacarme n°22