les fractures ouvertes de la gauche : ça se soigne ou pas ? avant-propos

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Voici une étrange dérive lexicale : on parlait autrefois des divisions, des conflits ou des clivages de la gauche, suivant un paradigme politico-psychanalytique et, désormais, on parle depuis Marcel Gauchet puis Emmanuel Todd de « fractures » suivant une métaphore organique à la fois aimable (on fait donc corps ?) et inquiétante (l’idée de corps social foutant toujours les jetons). Mais faisons donc avec la « fracture », puisqu’elle est aujourd’hui d’usage, et même, filons la métaphore jusqu’au bout du réel : aujourd’hui, les fractures de la gauche sont des fractures ouvertes, c’est-à-dire graves et apparentes. L’os du dissensus apparaît très clairement, même si ce n’est jamais et pourtant toujours le même os.
Donc, la gauche est très salement fracturée. Comme si la gauche venait de tomber d’un avion sans parachute. La chute a été très longue, mais ça y est, c’est fait, la gauche a touché le sol, un sol en béton armé. Le pronostic vital est engagé. Mais, avant la couronne mortuaire, la gauche mérite d’être examinée une dernière fois, avant de savoir à qui la confier : maison de repos, soins palliatifs ou pompes funèbres ? D’autres possibles, plus heureux peut-être ? D’abord, on veut l’autopsier au nom de certains pans assez respectables de son passé, et aussi, par respect pour les familles. Enfin, et surtout, parce que, dès qu’on contemple avec un peu de courage son triste corps morcelé, il est difficile de ne pas reconnaître que ce patient méconnaissable archi-fracturé, c’est (un peu) nous-mêmes. La gauche est fracturée. Nous sommes fracturés. Et il nous faut un diagnostic. Il nous faut une étiologie. Idéalement, il nous faudrait aussi une thérapeutique. L’affaire est sérieuse, car un monde sans gauche électorale, ça s’appelle la Chine, l’Inde, la Russie, la Pologne, la Hongrie, l’Italie ou presque, Israël, l’Iran, etc. Et un monde où la gauche, ce n’est devenu plus que de l’entre-soi, ça s’appelle le monde entier, rien que ça. Dans les deux cas, ça fait envie à qui ? Alors, c’est parti, établissons le diagnostic, et avec un peu d’humour : pour ne pas en crever. Parce que notre métaphore médicale est fragile, on sait : oui, nous ne sommes pas plus médecins que la gauche n’est une et une seule personne.

un diagnostic à se jeter par la fenêtre

Comme pour tous les grands accidentés, il est probable qu’on ne parvienne pas, jamais, à repérer l’ensemble des fractures ouvertes de la gauche, tel Charles Bovary qui erre dans sa vie sans rien capter, encore que, Charles Bovary, lui, la trouve la fracture, il y parvient, et d’ailleurs, c’est à cette occasion qu’il rencontre Emma, sa femme, ça ne se passe pas très bien entre eux dans la suite de l’histoire, mais, au moins, ils tombent amoureux. Essayons malgré tout, au moins pour la France, même si cette réduction à ce tout petit territoire est peut-être déjà un inquiétant symptôme du problème.

La gauche est fracturée électoralement et s’apprête à des déroutes en ordre dispersé aux prochaines élections qui s’annoncent particulièrement gratinées. Mais c’est de loin la fracture la moins grave : des déroutes électorales, la gauche en a connues et ce n’était pas toujours signe de mauvaise santé (juin 1968) ; plus encore, il n’est pas sûr que l’essence de la gauche se soit jamais située du côté des partis et des disputes électorales sinon, déjà, sous forme d’arnaque.
Beaucoup plus gravement, elle est très fracturée théoriquement. Certes, elle l’a toujours été, mais, autrefois, entre communisme, socialisme, anarchisme et social-démocratie, gauche radicale et gauche modérée, gauche « politique » et gauche syndicale, gauche mouvementiste et gauche institutionnaliste, gauche réaliste et gauche morale, gauche souverainiste et gauche libérale, gauche internationaliste et gauche localiste, il y avait des ponts, des échanges, des emprunts (voire des vols salutaires : d’idées, de problèmes, de stratégies), des marieuses, des transfuges — peu de marieuses mais beaucoup de transfuges — quelques valeurs et lignes rouges communes ; ça castagnait ferme, mais sur fond d’un horizon commun — refuser, frontalement ou dans ses marges, l’ordre établi, et bâtir, par la lutte ou le libre débat, dès maintenant ou plus tard, de manière dissensuelle ou de manière consensuelle, par l’État, ou contre l’État, un même monde, en quelques mots, un monde où régneraient paix, égalité, liberté, fraternité ou, au moins, bienveillance et solidarité, justice, hospitalité.

Mais tout cela, c’est peut-être du passé. Comme si tout le champ de la pensée s’était radicalement archipélisé, morcelé en îlots indépendants et radicalement étanches les uns aux autres : on ne se castagne même plus les uns les autres, on s’ignore, on se méprise ou on se vomit. Jusqu’au point où il n’y aurait plus que la droite (ou les nouvelles droites d’aujourd’hui qui se disent ni de droite, ni de gauche, de LREM au RN) pour venir encore faire son marché à gauche sans trop de sectarisme. Quoi qu’à la manière dont les multinationales vont faire leur marché dans les pays du Sud, cette droite ne laisse que des ruines derrière elle. Pire encore, tout un pan de celles et ceux qu’on aurait classés il y a peu encore à gauche, des militants patentés (FI, black blocs, gauche associative, gauche humanitaire) jusqu’aux citoyens ordinaires, ne s’y reconnaissent plus du tout, dans « la gauche », n’y voient plus qu’un hochet d’anciens combattants ou une fumisterie électorale, et refusent de s’y intéresser. Non seulement la gauche est fracturée théoriquement, mais elle est fracturée dans son existence même comme si l’Esprit était parti pour de bon séjourner ailleurs pour parler comme Hegel.

Non seulement la gauche est fracturée théoriquement, mais elle est fracturée dans son existence même.

Peut-être plus gravement encore, au moins quand on est matérialiste et qu’on croit encore à la primauté de la praxis, elle est fracturée en pratique, c’est-à-dire dans ses actions et ses engagements. Non seulement les gauches multiples ne partagent presque plus jamais les mêmes combats, n’occupent plus les mêmes territoires, ne s’émeuvent plus des mêmes enjeux — ce qui en soi ne serait pas nécessairement un drame : peut-être un juste partage des tâches ? —, mais surtout, quand elles occupent les mêmes lieux et les mêmes luttes, elles s’y déchirent comme jamais. Sur l’islam, pas sur les religions en général (ça c’est vieux). Sur l’immigration. Sur la politique internationale (Syrie, Russie, Venezuela, Tibet, Palestine, Mali). Sur l’écologie (réchauffement climatique, nucléaire, végétarianisme…). Sur l’éducation. Sur le travail et le rapport au travail (revenu minimum ou travail pour tous ; plaie du chômage ou des working poors ?). Sur l’État. Sur l’Europe. Sur les minorités. Sur le féminisme. Sur la libération sexuelle. Même sur les néo-fascismes qui viennent, qui sont déjà là. Pas un seul enjeu contemporain où la gauche ne prenne les armes contre elle-même. Pire encore, pas un seul enjeu contemporain où la gauche, non seulement se déchire, mais se renverse, balbutie, se contorsionne, se contredit, devienne illisible, se dissolve. On pourrait poursuivre la liste à l’infini, et, dans les faits, on la poursuit peut-être déjà à l’infini : alors énumérons rapidement ces déchirements gigantesques et microscopiques qui nous traversent.

  • Prendre l’avion : criminel de guerre ou ouverture à l’autre ?
  • Manger : gauche rabelaisienne ou cochons consuméristes ?
  • Gilets jaunes : insurgés courageux, homophobes à quenelles ou cycliste peureux ?
  • Mahomet ou Muhammad ?
  • Écritures inclusives ou nique (c’est homophobe ?) ta·ton m·p·ère ?
  • Travailleuses et travailleurs du sexe ; métier d’avenir ou pointe avancée du capitalisme ?
  • Gestation pour autrui ou grossesse marchandisée ?
  • Polyamour ou fidélité prolétarienne ?
  • École publique pour tous ou pédagogie raffinée pour riches ?
  • Réseau salafiste ou épicerie de quartier ?
  • Voiture électrique à l’empreinte carbone qui tue ou patinette tueuse de piétons ?
  • Enfanter : détruire la planète ou sauver l’espèce ?
  • Vive la liberté sexuelle sans entrave ou, attention, les gars et les meufs, maintenant, on montre plus sa bite/chatte/intersexe sans autorisation signée ?
  • Assassins assassinés ou assassins d’assassins assassins ?
  • Culture, agriculture ou permaculture… ?

Enfin, et c’est sans doute le pire, ce pourquoi l’idée même de gauche joue aujourd’hui sa peau, ces fractures théoriques et pratiques sont devenues, pour la plupart d’entre nous, qu’on le reconnaisse ou qu’on le (dé)nie, des fractures intimes, des fractures qu’on a honte de regarder et qu’on veut abandonner derrière soi.

On déteste le capitalisme mais on a tellement peur de détruire toute l’économie en rompant tous les amarres.
Et : le pouvoir d’achat, c’est le nerf de la guerre mais, avoir du pouvoir d’acheter, ça pue la consommation.
On s’invente des postures aberrantes de végétarien non-pratiquant ou d’islamophile lecteur de Charlie Hebdo.
On s’indigne des violences faites aux femmes, mais on ne supporte pas la délation et les balances de #BalanceTonPorc.
On déteste le fascisme et, pourtant, on renonce à voter.
On ne supporte pas l’explosion des inégalités depuis trente ans et on vote pour Macron.
On est pour la liberté des femmes de faire ce qu’elles veulent de leur corps, mais on ne supporte pas qu’elles se voilent.
On aime la vie, mais on ne pense qu’à la mort.

Ces fractures théoriques et pratiques sont devenues, pour la plupart d'entre nous, qu'on le reconnaisse ou qu'on le (dé)nie, des fractures intimes, des fractures qu'on a honte de regarder et qu'on veut abandonner derrière soi.

Ce passage dans l’intime des contradictions du politique est le signe le plus funeste de la misère de la gauche. Hegel sur ce point est presque irréfutable : celui qui vit les divisions en lui-même au lieu de s’y engager au-dehors, qui absorbe le monde au lieu de le transformer, c’est la belle âme — déchirée, complaisante, ironique en images, âme nulle en vérité. Car, en faisant passer la contradiction à l’intérieur d’elle-même, la belle âme la psychologise, la ressent, au lieu de l’objectiver, de la penser et de la politiser et, ce faisant, elle rompt le juste processus dialectique, confond l’intériorité de l’Esprit du temps où les contradictions et les luttes se renversent et progressent et l’intériorité individuelle où les contradictions se figent. Et c’est ainsi que la belle âme, l’âme nulle, tombe hors de l’histoire, et meurt.

Est-ce là l’histoire passée ou à venir de la gauche ? Nous ne savons pas. Nous avons seulement tenté dans les pages qui suivent d’analyser d’un peu plus près quelques-unes de ces lignes de fracture contemporaines. Mais contentons-nous ici de le montrer avec la plus récente et peut-être la plus exemplaire : le mouvement des gilets jaunes. Car autour de ce mouvement, toutes les fractures s’en sont donné à cœur joie jusqu’à aboutir effectivement à ce résultat consternant : être de gauche ne veut plus rien dire. Et, de cela nous pouvons clairement témoigner ; puisqu’il a traversé Vacarme comme un missile air-sol, un appartement de djihadiste (ou l’appartement juste à côté : personne n’est parfait). Qu’a-t-on entendu, dans la presse, à la radio, et, déjà, entre nous ? Les uns (nous en sommes), par anticapitalisme et anti-néolibéralisme, ont salué ce miracle populaire qui redonnait enfin de la visibilité et de la parole à ceux qui n’ont rien. Les autres (nous en sommes), par anticapitalisme et anti-néolibéralisme, se sont méfiés de ce mouvement qui ne s’en prenait qu’à l’État et laissait entièrement dans l’ombre les forces obscures du capital et de la finance. Les uns (nous en sommes), par souci des minorités, n’ont pas voulu en entendre parler tant il était par trop (un tout petit peu c’est déjà trop !) traversé d’homophobie, de racisme, d’antisémitisme. Les autres (nous en sommes), par souci des minorités, ont salué ce mouvement exemplairement minoritaire, une minorité ne se définissant pas numériquement, mais en rapport à une norme et à un pouvoir, et donc, le peuple, c’est aussi, toujours, la minorité ultime. Les uns (nous en sommes), soucieux du réchauffement climatique, se sont désolés qu’un tel mouvement puisse se cristalliser sur une augmentation des taxes sur le diesel. Les autres (nous en sommes), tout aussi soucieux du réchauffement climatique, se sont réjouis d’un mouvement qui mettait au jour l’hypocrisie et le désastre annoncé d’une politique s’échinant à ne faire porter qu’aux pauvres la facture climatique. Les uns (nous en sommes), soucieux d’antifascisme, se sont désespérés d’un mouvement qui vu l’état actuel du rapport de forces politique ne pourra que faciliter l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national. Les autres (nous en sommes), plus soucieux encore d’antifascisme, se sont dit qu’il fallait à tout prix soutenir ce mouvement, le convaincre que la gauche était de son côté, pour l’empêcher de tomber dans l’escarcelle de la pintade nazie. Etc., etc., etc. Sur chaque argument, fracture et, sur chaque fracture, cascade de micro-fractures. Entre nous et les autres. Entre nous et nous. Entre soi et soi.

Il n'y a que celles et ceux qui ne font rien qui dépriment.

une étiologie paranoïaque

Avant de clouer le cercueil, il faut comprendre et comprendre c’est toujours comprendre par les causes. Qu’est-ce qui a mis la gauche dans un tel état ? Le problème est qu’une telle question conduit très vite à une terrifiante paranoïa : la gauche est morte, ou mourante, parce que tout le monde lui en a voulu. Les causes en effet d’une telle « moribonderie » pourraient s’égrener comme suit :

  1. La gauche est brisée à cause de tous ceux qui l’ont trahie, qui ont trahi les classes populaires, les Mitterrand, les Hollande, les Valls jusqu’à Macron qui a donné le coup de grâce.
  2. La gauche s’est brisée bien plus profondément à cause de tous ces petits-bourgeois qui se sont emparés d’elle pour la mettre au service de celles et ceux qui la coupent du peuple et qui ne votent même pas majoritairement pour elle : les gays et lesbiennes, les femmes, les migrants. Mais ça pèse quoi, coco, une trans syrienne ?!!
  3. La gauche est morte à cause de l’extrême-gauche et de ses intellectuels qui n’ont plus produit une idée nouvelle depuis quarante ans. Or, la gauche, depuis le départ, depuis la Révolution française, ce n’est qu’une vague tentative d’accommodation et de modération des idées de l’extrême-gauche ; si celle-là ne pense plus rien, c’est parce que l’extrême-gauche ne pense plus rien, sinon un vaste et confus pot-pourri de tout ce qui l’avait constituée jusque-là : la démocratie, les classes, le peuple, les genres, les races, les minorités, les métèques, les pauvres, les casseurs.
  4. N’accablons pas l’extrême-gauche, on ne tire pas sur une ambulance quand on veut sauver un mourant. Le problème n’est pas tant un problème d’idées qu’un problème de personnes ; c’est l’effondrement moral généralisé de toutes les élites dites de gauche qui nous a plombés. Prenez le cas de Cécile Duflot. Elle décide de quitter la vie politique et de prendre la tête d’Oxfam France. On peut la comprendre et on se dit qu’elle n’était pas la pire. Mais quand on lui demande ce qu’elle en pense, elle dit qu’elle « quitte la vie politique avec beaucoup de sérénité ». La planète est plus mal en point que jamais, les Verts sont exsangues, la gauche moribonde, mais elle est très contente parce qu’elle vient de sauver sa carrière. C’est à pleurer, mais ils sont tous pareils.
  5. Arrêtons, par pitié, de faire acception des personnes. Ce ne sont pas que les élites qui furent corrompues à gauche, c’est tout le monde, jusqu’au plus minuscule délégué syndical, jusqu’au plus anonyme militant associatif, jusqu’au citoyen ordinaire qui ne milite pas mais croit avoir bon cœur alors qu’il ne pense qu’à sa pomme. Si tout le monde est corrompu, c’est bien que ce n’est pas un problème de personnes ou d’idées mais de système. Le néolibéralisme a triomphé, il est dans le cœur de chacun. Point barre, c’est fini, la gauche, t’as perdu, t’as perdu. Donc, évidemment, tu te déchires, tu te fragmentes, comme tous les organismes vivants avant de mourir. Y’a rien d’autre à dire.
  6. Que nenni, arrêtons de nous auto-flageller. On n’a pas perdu à la loyale, on nous a flingués. C’est pas la faute de la gauche, c’est d’abord la faute d’une immonde stratégie néolibérale qui nous a pillés, puis flingués, avec des moyens qu’on n’avait pas.
  7. Peut-être, sauf que Coco : 1. tu l’as déjà dit (cf. point 5), tu vois bien, t’es déjà gâteux ; 2. c’est exactement ça la politique : quand t’as perdu, t’as perdu, et l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs.
  8. Mais je veux encore faire le bien !
  9. Et ta sœur…
  10. Etc., etc., etc., à l’infini.

Qu’est-ce qu’on fait d’un tel tableau étiologique, d’une telle liste de causes ? On se dit avant tout que le médecin qui devra s’occuper d’un tel cas devra quand même avoir de la bouteille et même ne pas être tout à fait à jeun. Car c’est toujours le même problème avec les paranoïaques : même les paranoïaques ont des ennemis.

une thérapie utopique

Admettons-le.
Pour l’instant et sans doute pour quelques temps encore, dans le réel, on est un peu cuit. Il n’y aura donc pas de thérapie, non pas de « bonne » thérapie si l’on ne fait pas appel, comme dans toutes les périodes pauvres, aux trois grandes forces de l’utopie. D’abord, sa capacité à nous redonner du temps, à nous permettre d’échapper à un sentiment d’urgence anxiogène et impuissant. Ensuite, la capacité de l’utopie à nous redonner de l’espace, à sortir de nos frontières étriquées, à nous rappeler que les désastres d’ici peuvent toujours s’effacer sous les inventions de l’ailleurs. Enfin, sa capacité à affirmer une autonomie de la pensée, de la vie, des luttes, qui résiste à toute sombre jouissance du désastre.

Mais on va aller les trouver où, ces utopies pour réparer notre gauche en morceaux ?

D’abord dans l’action, car il faut toujours se rappeler cette vérité factuelle : il n’y a que celles et ceux qui ne font rien qui dépriment. Celles et ceux qui parviennent encore à agir, à militer, à travailler, à écrire, à faire une revue, à parler, à manifester, à partager in vivo, ne se posent pas ce genre de questions. Ensuite, on peut aller chercher du côté des poètes, pour cela, on pratique depuis des années, il y a le Cahier de Vacarme qui fait respirer.

Quand on ne peut plus marcher, on rampe. Ou on occupe des ronds-points.
Quand on ne peut plus penser, on parle.
Quand on ne peut plus parler, on crie.
Quand on ne peut plus rien, on chante.

Les poètes sont de bons médecins pour les fractures de la gauche et, ça tombe bien, parce qu’on l’est tous, poètes, il suffit juste de s’autoriser un peu. Justement, on a du temps devant soi avant que ça se reconstruise, pour s’autoriser un peu. Pas certain qu’en opérant, les poètes ne laissent pas des cicatrices. Mais qu’est-ce qu’on a à perdre ? Elle est peut-être là, la clé : admettre qu’on n’a plus rien à perdre, qu’il va rester des cicatrices, car c’est seulement quand on n’a plus rien à perdre qu’on peut à nouveau croire qu’on a tout à gagner, et alors, l’avenir nous appartiendra.

Post-scriptum

Dossier coordonné par Dominique Dupart et Pierre Zaoui